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progrès dans l’ordre politique a été l’ouvrage de la royauté, de telle sorte que l’affranchissement communal lui-même n’est qu’un acte de munificence royale. Le peuple, dans le livre de M. Laurentie, s’efface donc devant le prince qui gouverne, parce que le prince est, à son sens, l’instrument des multitudes en même temps que l’instrument de Dieu : c’est lui qui ébranle les masses, les entraîne, les élève ; il est la force et l’intelligence ; il doit dominer dans toute création historique comme il a dominé dans la réalité des évènemens. L’écrivain de parti, exclusif et absolu, se montre donc ici à découvert, et je cherche en vain l’historien impartial.

Ces données philosophiques sont certes de nature à trouver bien de légitimes contradictions, et au temps de Louis XIV lui-même, cette sorte de lyrisme monarchique, transporté dans le domaine de la science, eût surpris sans aucun doute plus d’un esprit sérieux ; mais, tout en récusant ouvertement les théories de M. Laurentie dans ce qu’elles ont à tout instant d’exagéré, il convient de rendre cette justice à son livre, qu’il présente en somme une lecture attachante et animée, quoiqu’il n’offre, dans le détail, rien de neuf ou d’imprévu. Le récit est rapide, dramatique ; et bien que dans son ensemble cette histoire soit plutôt encore une œuvre littéraire qu’une œuvre d’érudition, aucun fait important n’a été omis. Les deux premiers volumes, les seuls publiés jusqu’à ce jour, comprennent l’histoire des origines gauloises et s’arrêtent à saint Louis. L’auteur conduira son œuvre jusqu’à nos jours. Mais à mesure qu’il avancera dans les temps modernes, l’homme de parti ne devra-t-il pas paraître de plus en plus sous l’historien, et involontairement M. Laurentie ne sera-t-il pas tenté de transporter incessamment dans l’histoire de France le style et la manière de l’Histoire des ducs d’Orléans ? L’écrivain élégant parviendra-t-il à couvrir suffisamment, et par la modération du ton, l’auteur de brochures royalistes qui ne sont pas la modération même ? La révolution ne l’amènera-t-elle pas, je le crains, au point de vue inintelligent de M. de Conny, et n’eût-il pas été prudent de s’arrêter à Louis XIV ? On a déjà assez de peine à s’accorder sur la réforme et sur la ligue pour ne pas aller jusqu’au-delà de 89. Sans mauvaise humeur, on peut dire que la Quotidienne est un peu plus en arrière que cela.


Relations des voyages de Guillaume de Rubruk, Bernard-le-Sage et Sœvulf[1]. — Le 27 janvier 1248, saint Louis, toujours ambitieux de pieuses conquêtes, députa de la ville de Nicosie, vers le grand khan des Tartares, quelques moines des ordres mineurs, qui devaient répandre l’Évangile au centre de l’Asie. Le chef de cette dévote expédition, frère André, après avoir traversé la Perse, arriva, vers le commencement de l’année 1249, à la cour mongole, et remit à la régente, Ogoul-Gaïmisch, de la part du roi de France, les présens dont il était porteur, et qui consistaient en divers ornemens d’autel et en morceaux de la vraie croix. Il lui annonça en même temps que l’église romaine recevrait volontiers les Tartares dans son sein comme des fils bien-aimés. Ogoul-Gaïmisch accueillit les frères mineurs avec distinction, et, en échange de leurs reliques, elle leur donna, conformément aux coutumes chinoises, une pièce de drap de soie ; mais les ambassadeurs catholiques échouèrent complètement dans leurs tentatives de conversion. Le but du voyage avait

  1. Publiées par F. Michel et Th. Wright. Paris, 1839, 1 vol. in-4o, Bourgogne et Martinet, rue Jacob, 30.