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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/593

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REVUE LITTÉRAIRE.

pour les délivrer de la captivité. Exclusivement préoccupé de l’étude des livres saints et des mystérieuses traditions du christianisme, Bernard ne prête attention aux pays qu’il traverse que dans le cas où les lieux réveillent en lui quelque souvenir de la Bible ou de l’Évangile. Les souffrances des vivans l’affligent moins que les profanations qui outragent la cendre révérée des morts et les tombeaux des saints. Le Christ est encore présent à ses yeux sur cette terre consacrée, et il la parcourt en priant, moins pour regarder et pour apprendre que pour s’édifier et corroborer sa foi.

C’est dans cette même pensée mystique que fut entrepris, vers l’an 1102, le voyage en terre-sainte du moine anglais Sœvulf. La relation de ce pèlerinage était restée inconnue jusqu’ici, et MM. Michel et Wright en ont les premiers retrouvé le texte dans la bibliothèque du Corpus Christi college, à Cambridge. Sœvulf est complètement ignoré dans l’histoire littéraire du moyen-âge, et peut être ce nom, qui n’est qu’une forme saxonne sous laquelle il est aisé de reconnaître les mots anglais sea-wolf, loup de mer, n’offre-t-il qu’une allusion aux voyages maritimes de l’auteur. Sœvulf s’embarqua à Varo (Bari), dans la Pouille, le dimanche 13 juillet 1102. Mais l’heure de l’embarquement était une heure néfaste, hora œgyptiaca ; une tempête rejeta le navire dans le port de Brindes, et quand Sœvulf se remit en route, ce fut encore par un jour de malheur, die œgyptiaca, ce qui lui fait dire qu’il fallait pour se sauver, après d’aussi tristes présages, le secours tout-puissant de la miséricorde divine. Il visita successivement quelques îles de la mer Adriatique (on désignait ainsi au moyen-âge la portion orientale de la Méditerranée), et employa sept mois entiers à parcourir les lieux célèbres de la terre-sainte, depuis Hébron jusqu’à Génézareth. Le 17 mai 1103, il vint se rembarquer à Jaffa, et se rendit ensuite à Constantinople. La relation de son voyage s’arrête à son arrivée dans cette dernière ville.

Sœvulf, comme Bernard-le-Sage, se montre, avant tout, occupé des pieuses traditions. La description de Jérusalem est à peu près la seule partie de son récit qui présente quelques détails ; mais, quelles que soient la sécheresse et l’aridité de la narration, quelle que soit la barbarie du langage, ces odyssées monastiques offrent, en dehors même de la géographie, un intérêt véritable ; car on y retrouve l’expression naïve d’une foi puissante qui devait remuer l’Europe, en lui montrant que le but suprême de la vie d’un chrétien, c’était de monter au Calvaire et de s’agenouiller au sépulcre.


Essai historique sur les invasions des Hongrois, par M. L. Dussieux. — Il y a un an, à pareille époque, on avait occasion d’examiner dans la Revue[1] un livre prétentieux et emphatique du même auteur, un livre où de simples et utiles listes chronologiques se trouvaient bizarrement accolées à des généralisations humanitaires jetées au hasard. Nous n’avons certes pas la prétention de croire que nos conseils aient converti M. Dussieux ; mais il nous sera au moins permis de remarquer que ce retour à la saine manière et au procédé sérieux a coïncidé avec nos observations. C’est là un résultat si rarement obtenu par la critique, qu’elle a le droit de s’en applaudir. Aucun corps sérieux et savant n’eût accordé, à coup sûr, la moindre mention honorable à l’Art considéré comme symbole de l’état social ; le livre sur les invasions hon-

  1. Un vol.  in-8o, 1839, chez Joubert, rue des Grés, 14.