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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

phane et des tragiques grecs. C’est que le siècle de nos vrais classiques avait été plus tolérant et plus naïf que le nôtre, et c’est pourquoi ce fut un grand siècle.

Byron prit donc la forme du Faust, à son insu sans doute, par instinct ou par réminiscence ; mais, quoiqu’il ait récusé la véritable source de son inspiration pour la reporter au Prométhée d’Eschyle (qui, disons-le en passant, lui a inspiré la plus faible partie de Manfred), il n’en est pas moins certain que la forme appartient tout entière à Goethe : la forme et rien de plus. Mais pour faire comprendre la distinction que j’établirai plus tard entre ces poèmes, je dois remettre sous les yeux des lecteurs le jugement de Goethe sur Manfred, et celui de Byron sur lui-même.

Jugement de Goethe, tiré du journal l’Art et l’Antiquité.
« La tragédie de Byron, Manfred, me paraît un phénomène merveilleux et m’a vivement touché. Ce poète métaphysicien s’est approprié mon Faust, et il en a tiré une puissante nourriture pour son amour hypocondriaque. Il s’est servi pour ses propres passions des motifs qui poussaient le docteur, de telle façon qu’aucun d’eux ne paraît identique, et c’est précisément à cause de cette transformation que je ne puis assez admirer son génie. Le tout est si complètement renouvelé, que ce serait une tâche intéressante pour la critique, non seulement de noter ces altérations, mais leur degré de ressemblance ou de dissemblance avec l’original. L’on ne peut nier que cette sombre véhémence et ce désespoir exubérant ne deviennent, à la fin, accablans pour le lecteur ; mais, malgré cette fatigue, on se sent toujours pénétré d’estime et d’admiration pour l’auteur. »
Fragment de lettre de lord Byron à son éditeur. Juin 1820.
« Je n’ai jamais lu son Faust, car je ne sais pas l’allemand ; mais Matthew Lewis, en 1816, à Coligny, m’en traduisit la plus grande partie de vive voix, et j’en fus naturellement très frappé ; mais c’est le Steinbach, la Jungfrau et quelques autres montagnes, bien plutôt que Faust, qui m’ont inspiré Manfred. La première scène, cependant, se trouve ressembler à celle de Faust. »
Autre fragment. 1817.
« J’aimais passionnément le Prométhée d’Eschyle. Lorsque j’étais enfant, c’était une des pièces grecques que nous lûmes trois fois dans une année à Harrow. Le Prométhée, Médée et les Sept chefs devant Thèbes sont les seules tragédies qui m’aient jamais plu. Le Prométhée a toujours été tellement présent à ma mémoire, que je puis facilement concevoir son influence sur tout ce que j’ai écrit ; mais je récuse Marlow et sa progéniture, vous pouvez m’en croire sur parole. »