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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/609

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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

Méphistophélès. — C’est de la magie, pauvre fou ! car chacun croit y retrouver celle qu’il aime.

Faust. — Quelles délices ! et quelles souffrances ! Je ne puis m’arracher à ce regard. Qu’il est singulier, cet unique ruban rouge qui semble parer ce beau cou… pas plus large que le dos d’un couteau !

Méphistophélès. — Fort bien ! je le vois aussi ; elle peut bien porter sa tête sous son bras, car Persée la lui a coupée. Toujours cette chimère dans l’esprit ? Viens donc sur cette colline, etc.


Et quand Faust, revenu du sabbat, apprend le malheur où Marguerite est tombée, il exprime sa douleur et sa colère contre le démon en un style digne des plus beaux élans de Shakespeare. Son ame s’élance vers la Divinité, et il fait entendre ce cri de juste reproche « Sublime esprit ! toi qui m’as jugé digne de te contempler, pourquoi m’avoir accouplé à ce compagnon d’opprobre qui se nourrit de carnage et se délecte de destruction ? » Dans son indignation véhémente, Faust, se dessinant pour la première fois, est animé de cette puissance de droiture et de cette franchise grande et simple qui rachètent si admirablement dans Goethe l’absence des facultés idéalistes. Il terrasse l’insolence du démon, et le force à le conduire auprès de Marguerite pour la sauver. Ici le rôle de l’amant ayant cessé, et celui de l’homme commençant, on ne s’aperçoit plus de tout ce qui a manqué à Faust pour répondre à l’amour de Marguerite ; on voit seulement la probité et le zèle qui s’efforcent de racheter des crimes bien involontaires, car il n’a pas dépendu de Faust que l’amour d’une femme comblât le vide de son cœur, et Méphistophélès s’empare de lui au dénouement d’une façon bien arbitraire. D’où il faut conclure que Goethe, grand artiste, sublime lyrique, savant ingénieux et profond, noble et intègre caractère, mais non pas philosophe, mais non pas idéaliste, mais non pas tendre ou passionné dans un sens délicat, n’a pas pu ou n’a pas voulu exécuter Faust tel qu’il l’avait conçu. Toute cette histoire, tout ce drame, tous ces personnages, tous ces évènemens si admirablement posés, si pleins d’intérêt, de grace, d’énergie et de pathétique, n’encadrent pourtant pas le sujet qu’ils devaient encadrer, c’est-à-dire la lutte du sentiment divin contre le souffle de l’athéisme. Ce n’est pas le drame de Faust tel que nous le concevrions aujourd’hui, et tel que Goethe l’avait rêvé sans doute avant d’y mettre la main ; c’est l’histoire du cerveau de Goethe esquissé moitié d’après nature, moitié d’après sa fantaisie ; c’est l’histoire du siècle dernier, c’est l’existence de Voltaire et de son école ; c’est le résultat des systèmes de Descartes, de