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consistait dans l’association du monde métaphysique et du monde extérieur. Chez Faust, le mélange est très habilement combiné. Il y a presque toutes les qualités d’un drame propre à la représentation scénique, et on conçoit qu’en donnant moins d’extension au monologue, et en ne faisant du sabbat qu’une scène de ballet, les théâtres aient pu s’en emparer. Mais ce qui, probablement, aux yeux du plus grand nombre des lecteurs est une qualité dans Faust, nous paraît un défaut, si nous considérons la véritable nature du drame métaphysique. Celui-là entre beaucoup trop dans la réalité. Faust devient trop aisément un homme pareil aux autres, et Méphistophélès n’est bientôt lui-même qu’un habile coquin, demi-escroc, demi-entremetteur, qui trouverait facilement son type dans la nature humaine. Byron, au contraire, a porté le drame dans le monde fantastique beaucoup plus que dans le monde réel. Ce dernier monde n’est, pour ainsi dire, qu’entrevu dans Manfred, et, par une admirable logique de sentimens, il y apparaît pur, paisible, presque idéal dans sa candeur. C’est bien là le regard qu’un grand et courageux désespoir jette en passant sur la vie tranquille des hommes simples. Le chasseur de chamois et l’abbé de Saint-Maurice caractérisent l’innocence et la piété. Ce rôle du chasseur égale en beauté et rappelle, pour le sentiment général, le Guillaume Tell de Schiller ; mais ce qui rend la scène particulièrement touchante, c’est la douceur et la sagesse de Manfred, qui, loin de railler et de mépriser ce naïf montagnard, comme eût fait peut-être Faust, sympathise avec lui par la mémoire de sa jeunesse et l’intelligence de tous les aspects de la beauté morale. Le même sentiment se retrouve dans la scène avec le prêtre. Manfred n’est despotique et arrogant qu’avec les personnes infernales, c’est-à-dire avec ses propres passions et ses propres pensées. C’est pourquoi son orgueil est toujours légitime et respectable. Il triomphe de la vengeance, des furies, de la fatalité, de la mort même, pour s’élever, sans espoir de bonheur, il est vrai, mais avec une force surhumaine, à la connaissance de la justice divine. Là est tout le drame, et non pas dans la tentative de suicide de Manfred, ni dans les exhortations du prêtre. Ces accessoires servent rigoureusement à marquer le contraste entre l’existence mystérieuse de Manfred et celle des autres hommes. Ce sont de magnifiques ornemens, nécessaires seulement comme le cadre l’est au tableau pour en reculer l’effet et en détacher les profondeurs sur un fond brillant.

Mais peut-être serait-on en droit de dire que Byron a été trop loin dans l’opposition avec Faust ; tandis que celui-ci est trop dans la