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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.
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père. Je voudrais rendre à ma patrie la vie et le bonheur, je voudrais en faire l’admiration du monde. Les forces me manquent, et je viens ici, armé de toute la puissance de ma pensée, de cette pensée qui a ravi aux cieux la foudre, scruté la marche des planètes et sondé les abîmes des mers. J’ai de plus cette force que ne donnent pas les hommes, j’ai ce sentiment qui brûle intérieurement comme un volcan, et qui parfois seulement fume en paroles.

Et cette puissance, je ne l’ai puisée ni à l’arbre d’Éden, dans le fruit de la connaissance du bien et du mal, ni dans les livres, ni dans les récits, ni dans la solution des problèmes, ni dans les mystères de la magie. Je suis né créateur. J’ai tiré mes forces d’où tu as tiré les tiennes, car toi, tu ne les a pas cherchées… tu les possèdes, tu ne crains pas de les perdre… et moi je ne le crains pas non plus ! Est-ce toi qui m’as donné, ou bien ai-je ravi là où tu l’as ravi toi-même, cet œil pénétrant, puissant ? Dans mes momens de puissance, si j’élève les yeux vers les traces des nuages, si j’entends les oiseaux voyageurs naviguer à perte de vue dans les airs, je n’ai qu’à vouloir, et soudain je les retiens d’un regard comme dans un filet : la nuée fait retentir un chant d’alarme ; mais, avant que je la livre aux vents, les vents ne l’ébranleront pas. Si je regarde une comète de toute la puissance de mon ame, tant que je la contemple, elle ne bouge pas de place… Les hommes seuls, entachés de corruption, fragiles, mais immortels, ne me servent pas, ne me connaissent pas… Ils nous ignorent tous deux, moi et toi : moi, je viens ici chercher un moyen infaillible, ici dans le ciel. Cette puissance que j’ai sur la nature, je veux l’exercer sur les cœurs des hommes : d’un geste je gouverne les oiseaux et les étoiles ; il faut que je gouverne ainsi mes semblables, non par les armes, l’arme peut parer l’arme ; non par les chants, ils sont longs à se développer ; non par la science, elle est vite corrompue ; non par les miracles, c’est trop éclatant : je veux les gouverner par le sentiment qui est en moi, je veux les gouverner tous, comme toi, mystérieusement et pour l’éternité ! — Quelle que soit ma volonté, qu’ils la devinent et l’accomplissent, elle fera leur bonheur ; et, s’ils la méprisent, qu’ils souffrent et succombent ! — Que les hommes deviennent pour moi comme les pensées et les mots dont je compose à ma volonté un édifice de chants : on dit que c’est ainsi que tu gouvernes !… Tu sais que je n’ai pas souillé ma pensée, que je n’ai pas dépensé en vain mes paroles. Si tu me donnais sur les ames un pareil pouvoir, je recréerais ma nation comme un chant vivant, et je ferais de plus grands prodiges que toi, j’entonnerais le chant du bonheur

Donne-moi l’empire des ames. Je méprise tant cette construction sans vie, nommée le monde, et vantée sans cesse, que je n’ai pas essayé si mes paroles ne suffiraient pas pour la détruire ; mais je sens que si je comprimais et faisais éclater d’un coup ma volonté, je pourrais éteindre cent étoiles et en faire surgir cent autres… car je suis immortel !… Oh ! dans la sphère de la création, il y a bien d’autres immortels… Mais je n’en ai pas rencontré de supérieurs ! Tu es le premier des êtres dans les cieux !… Je suis venu te chercher jusqu’ici, moi le premier des êtres vivans sur la vallée terrestre…Je ne t’ai pas encore