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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

vent, y pénètrent de toutes parts. Avant de pouvoir s’y installer, il faut d’abord enlever les couches de glace amassées sur le sol et suspendues aux parois de ces malheureux asiles. On nous a cependant cité un Russe qui passa sept hivers dans une de ces cabanes. Un capitaine de bâtiment norvégien y resta deux années de suite. Il tua dans la première année six cent soixante-dix-sept morses, trente renards bleus et trois ours blancs ; mais le second hiver fut si rigoureux, que les matelots ne purent que très rarement aller à la pêche. Les ours blancs, poussés par la faim, montaient jusque sur le toit de la cabane et se laissaient tuer presque à bout portant.

Il n’y a point de port à Beeren-Eiland. Ce qu’on appelle Norhavn et Sœrhavn (port du nord et port du sud) n’est qu’une baie mal garantie contre le vent et mal découpée. Quand les pêcheurs arrivent en vue de cette île, le capitaine envoie ses canots à terre et reste avec le navire à une assez grande distance du rivage, afin de pouvoir immédiatement prendre le large, si la brume venait à envelopper l’horizon, ou si le vent chassait de son côté les glaces flottantes. La première fois que les marchands de Hammerfest expédièrent des bâtimens de pêche dans ces parages, plusieurs hommes furent ainsi abandonnés à terre. Le capitaine, surpris par un de ces brouillards condensés qui dans le Nord rendent le voisinage des côtes si dangereux, avait été obligé d’appareiller et de regagner la pleine mer. Le vent l’empêcha de retourner en arrière, et les malheureux jetés ainsi sur la côte déserte sans armes, sans provisions, résolurent de s’en retourner avec leurs canots. Ils recueillirent tout ce qu’ils avaient de chair de phoque et de chair de morse, se mirent en route, et après des fatigues inouies arrivèrent à Hammerfest. Quelques jours après, ils s’embarquèrent de nouveau pour Beeren-Eiland, furent de nouveau abandonnés et tentèrent encore de regagner Hammerfest. Cette fois leur bateau était si petit, que, pour pouvoir y rester tous, quelques-uns d’entre eux étaient obligés de se coucher dans le fond en guise de lest. À moitié chemin, ils furent surpris par un orage épouvantable. Des pêcheurs anglais virent la pauvre barque vaciller et trembler sous l’effort du vent, et ne purent lui porter secours. Enfin le calme revint, et, après dix jours de périls, d’anxiété, de misère, les courageux Norvégiens abordèrent à Magerie, d’où ils regagnèrent avec d’autres embarcations la terre à laquelle ils avaient plus d’une fois déjà dit à jamais adieu.

Nous prîmes deux canots pour aller à terre, et nous errâmes long-temps avant de trouver un endroit où nous pussions aborder. De tous côtés, nous ne voyions qu’une longue ligne de brisans sur lesquels la mer lançait des flots d’écume, et des rocs dont nous ne nous lassions pas de contempler les formes bizarres : ceux-ci s’élançaient dans l’air comme des obélisques ; ceux-là, minés à leur base, ressemblaient à des édifices usés par le temps et près de s’écrouler ; d’autres ressemblaient à ces idoles monstrueuses qu’adorent certains peuples sauvages. Mais celui qui s’élevait devant nous était de tous le plus étrange ; à le voir de loin, on l’eût pris pour une grande tour carrée destinée à compléter quelque large fortification. Rien n’y manquait, ni les angles sail-