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ont été ramenés par les philologues à deux groupes très distincts ; ce qui autorise à croire que le sol gaulois a été le théâtre d’une double invasion, le champ de bataille où deux races hostiles, quoique d’origine commune, ont dû s’entrechoquer avant de se confondre en une seule. Dans la remarquable Histoire des Gaulois, dont le succès et l’autorité sont d’un favorable augure pour la continuation qui va paraître et qui embrassera l’époque romaine, M. Amédée Thierry s’est ingénieusement servi de ces résultats pour trancher plusieurs difficultés historiques. Par exemple, les dogmes religieux en vigueur dans la Gaule accusaient la coexistence de deux principes inconciliables : un polythéisme aveugle et violent qui déifiait toutes choses, et l’adoration d’une divinité unique et immatérielle, intelligente et juste. M. Amédée Thierry attribue le culte grossier à la race qui la première déblaya le sol pour s’y asseoir, aux Gaëls, dont l’émigration aurait été contemporaine de celle des Pélasges, leurs frères : ainsi s’expliquerait la parenté des idoles gauloises avec celles de l’Olympe, et la facilité avec laquelle une partie de la Gaule adopta la mythologie romaine. Le même auteur pense, au contraire, que cette théologie avancée, pour laquelle les sages de la Grèce professaient une respectueuse admiration, appartenait à la civilisation druidique, c’est-à-dire qu’elle avait été apportée plus tard par la race dite Cymrique ou Bretonne[1], qui s’établit par la conquête à l’extrémité occidentale de l’Europe, dans les régions armoricaines et britanniques, où sa langue n’est pas encore oubliée, où les monumens de sa force subsistent encore. Suivant la même hypothèse, la première irruption des Gaulois en Italie n’eût été que la conséquence du refoulement des peuples gaéliques par les conquérans cymris, ce qui reporterait au VIe siècle avant notre ère l’introduction du druidisme dans les Gaules. On appréciera, par cette seule citation, toutes les ressources offertes à l’historien par la philologie comparée et par des recherches d’ethnographie judicieusement conduites. Sans doute les conclusions qui en découlent ne réunissent pas jusqu’ici tous les caractères de l’évidence : il sera long-temps permis de les adopter ou de les combattre ; mais il nous semble qu’on ne peut déjà plus

  1. L’hypothèse qui divise la nation gauloise en deux familles peut s’autoriser du passage suivant de M. Walckenaër lui-même (tome 1er, page 98) : « Les auteurs anciens semblent avoir confondu sous la même dénomination les Cimbres et les Gaulois. Cicéron dit : C. Marius influentes in Italiam Gallorum copias repressit. Ceux qui, sous Brennus, firent le voyage de Delphes, et qui sont désignés par tous les historiens comme des Gaulois, sont appelés Cimbres par Appien, Galli quos Cimbres vocant. Lucain semble aussi confondre ces deux appellations quand il fait Cimbre celui qui tua Marius, que Tite-Live et les autres font Gaulois. Enfin Plutarque donne à connaître que les Cimbres et les Gaulois se servent de la même langue. » Le témoignage d’Appien a d’autant plus de force, que le mot Brenn ou Brennus, en langue cymrique, n’est pas un nom propre, comme les Latins l’ont cru, mais le titre du commandement.