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VOYAGE DANTESQUE.

Le Vatican offre d’autres souvenirs de Dante qui méritent mieux de nous arrêter, souvenirs immortels, car ils ont été fixés par le pinceau de Raphaël dans les Stanze, et par le pinceau de Michel-Ange à la chapelle Sixtine.

Raphaël a bien jugé Dante en plaçant parmi les théologiens, dans la Dispute du saint-sacrement, celui pour la tombe duquel a été écrit ce vers, aussi vrai qu’il est plat :

Theologus Dantes nullius dogmatis expers.

Parmi les docteurs Dante a conservé la couronne de laurier des poètes ; mais on n’aurait pas besoin de cette indication pour reconnaître ce profil austère, ce visage maigre et pâle sur lequel ses contemporains croyaient lire les visions d’un autre monde. D’ailleurs, Raphaël l’a aussi placé sur le Parnasse parmi les poètes.

Un écrivain ingénieux a remarqué que la Théologie de Raphaël semble un divin portrait de Béatrice. Canova aussi a représenté Béatrice avec son voile et sa couronne de feuilles d’olivier :

Sotto candido, vel cinta d’oliva
Donna m’apparve
.

Vers que la main du grand sculpteur a tracés au bas de l’idéale et ressemblante figure pour laquelle il s’était inspiré de la poésie de Dante et de la beauté de Mme Récamier.

Michel-Ange n’a pas demandé à l’auteur de la Divine Comédie des inspirations aussi gracieuses que Raphaël ou Canova. Tout le monde sait que, dans le Jugement dernier, il a calqué son Caron sur celui de Dante. C’est bien le démon aux yeux ardens, aux yeux de braise, qui presse à coups de rame les ombres trop lentes[1]. Outre ce détail, évidemment emprunté, on sent dans toute la composition, empreinte d’un sentiment lugubre et terrible, l’action du poète sur le peintre. Par son côté sombre et violent, le génie de Dante se mariait admira-

  1. Inf., c. III, 109. — Michel-Ange, en plaçant parmi les damnés un maître des cérémonies du pape dont il avait à se plaindre, a fait ce que faisait Dante et ce qu’avaient fait d’autres peintres avant lui. Il y avait autrefois à Santa-Croce de Florence des peintures du Giotto et d’Orgagna dans lesquelles figuraient, au nombre des réprouvés, divers personnages de leur temps, entre autres Cecco d’Ascoli, probablement à cause de ses attaques contre Dante, ami du Giotto et inspirateur d’Orgagna, et en outre un quêteur de la commune de Florence, contre lequel un de ses peintres avait plaidé, ainsi que le notaire et le juge qui avaient favorisé son adversaire.