Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/756

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
752
REVUE DES DEUX MONDES.

existé de son temps ; mais il ne fut achevé qu’après la mort du poète, et la Garisenda de Bologne date de 1110.

On a dit de ces deux tours penchées qu’elles avaient été ainsi construites à dessein ; mais cette opinion est aujourd’hui généralement abandonnée ; là où on avait vu un tour de force de l’art, il ne faut voir qu’un accident produit par la nature du terrain. Les deux tours ne sont point d’aplomb. Les trous pratiqués pour placer les échafaudages de construction présentent la même inclinaison que le reste du monument[1]. Au reste, le fait est loin d’être aussi rare qu’on le suppose. Dans la façade de la cathédrale qui est à côté de la tour de Pise, deux arcades accusent aussi par leur inclinaison une légère dépression du sol. Dans la même ville, le clocher de Saint-Nicolas penche évidemment, et ce n’est pas seulement à Pise et à Bologne qu’on voit des clochers et des tours qui penchent, mais encore à Ravenne, à Venise et ailleurs, principalement dans les lieux où le terrain, comme celui de ces deux dernières villes, a peu de consistance, et pour cette raison a pu fléchir inégalement sous le poids des édifices. Le dôme de Saint-Pierre de Rome lui-même n’est pas parfaitement vertical. La tour de Pise et la Garisenda sont donc un peu moins merveilleuses qu’on ne les a faites, mais il reste à leurs noms assez de poésie et de gloire, puisqu’ils rappellent les noms de Dante et de Galilée.

On peut voir à Bologne comment la tradition du moyen-âge catholique, dont Dante est dans la poésie un si admirable représentant, était perdue dans l’art à l’époque où florissait cette école de Bologne, qui, malgré tout son mérite, ne fut qu’une brillante décadence. Dans l’église de Sainte-Pétrone, bâtie au XIVe siècle, est une peinture de l’enfer dans laquelle on sent encore une inspiration analogue à l’inspiration dantesque ; mais dans l’église de Saint-Paul, construite en 1611, les tableaux qui expriment l’état des ames dans l’autre vie ont un tout autre caractère. Le purgatoire du Guerchin n’est plus la montagne expiatoire dont les rampes symboliques expriment les divers degrés par lesquels l’ame s’élève en se purifiant ; on

    du haut de la tour de Pise. On dit aussi que les oscillations d’une lampe suspendue dans la belle cathédrale de cette ville donnèrent à l’illustre physicien la première idée de ses observations sur le pendule. On ne trouve guère qu’en Italie les recherches de la science moderne liées ainsi aux productions merveilleuses de l’art et de la religion du moyen-âge.

  1. Morona Pisa illustrata, tom. I, pag. 260. — Guida di Bologna de 1825, pag. 202.