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VOYAGE DANTESQUE.

ture impériale, et qui peint merveilleusement le moment où le rude génie des peuples barbares venait se superposer au génie savant des arts antiques. À Ravenne, tout date de la fin du vieux monde romain, rien ne date des siècles renouvelés du moyen-âge.

Le tombeau de Dante n’est pas de son temps ; il est malheureusement beaucoup plus moderne. Les cendres du poète ont attendu long-temps ce tardif hommage. Quand il mourut ici, le 14 septembre 1321, âgé seulement de cinquante-six ans, une urne de marbre recueillit ses cendres proscrites. Son hôte Guido della Polenta fut lui-même chassé de Ravenne avant d’avoir pu élever une tombe à celui que les agitations de sa terre natale avaient privé d’une patrie, et que les troubles de sa terre d’exil privaient d’un tombeau. Ce fut seulement plus d’un siècle après que Bernardo Bembo, podestat de Ravenne pour la république de Venise, fit construire, en 1482, par le célèbre architecte et sculpteur Lombardi, un monument qui, malheureusement, a été restauré en 1692 par un Florentin, le cardinal Domenico Corsi, légat pour la Romagne, et, plus malheureusement encore, a été entièrement reconstruit en 1780 par un autre légat, le cardinal Gonzaga, de Mantoue. Les inscriptions sont peu remarquables. Dans celle du XVIIIe siècle, l’admiration pour Dante a cru faire beaucoup en l’appelant le premier poète de son temps. L’éloge était modeste. Le cardinal Gonzaga pensait en dire assez, et probablement ne soupçonnait pas que celui auquel il accordait cette louange relative, pût être mis en comparaison avec les poètes italiens d’un siècle plus éclairé, tels que Frugoni. Il faut songer que vers ce temps Betinelli déclarait qu’il y avait tout au plus cent cinquante bonnes terzines dans la Divine Comédie. Une épitaphe plus ancienne, en mauvais latin, et qui a été attribuée à Dante, ne me paraît pas pouvoir être de lui, les vers sont trop barbares. Les deux derniers sont encore, au moins pour le sentiment, ce qu’il y a de mieux dans ce lieu funèbre

Hic claudor Danthes patris extorris ab oris,
Quem genuit parvi Florentia mater amoris.

Ils respirent une mélancolie amère que Dante n’eût point désavouée ; mais les quatre premiers sont détestables, et je ne puis me résoudre à l’en accuser.

Le monument, dans son état actuel, porte l’empreinte funeste du siècle dans lequel il a été reconstruit, comme tout ce que les arts produisaient alors. Cependant quand j’arrivai par la rue de Dante (strada