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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

les aiguilles ; il fit de l’or et devint, à la fin de sa laborieuse vie, membre d’une corporation municipale. Presbytérien rigide dans sa première jeunesse et la tête pleine des passions religieuses et démocratiques de ces temps, il rentra plus tard dans le giron de l’église établie, moins par conviction, pensez-vous, que pour avoir accès à ces dignités locales dont l’intolérance de la loi écartait alors les dissidens.

Son fils fut lancé, au sortir de l’enfance, muni d’une pacotille et de bons conseils, dans tous les hasards de la vie maritime et commerciale. Il vendit de somptueuses marchandises à la naissante capitale du czar ; il vit dans leur jeunesse ces colonies américaines qui bientôt allaient devenir de grands peuples ; puis son errante fortune le porta dans les Indes, alors que l’Angleterre commençait à y prévaloir contre la France. Il y passa dix années et revint en Europe, le coffre-fort garni de roupies. Il connut alors ce qui est pour tout Anglais le bonheur suprême ; il put acheter, dans le comté paternel, une terre avec patronage ecclésiastique, une terre aux eaux poissonneuses, au parc giboyeux. Il put courir les renards, ajuster les faisans, et obtint, peu avant sa mort, pour prix de services électoraux rendus à un seigneur whig du voisinage, la commission de paix, ce préliminaire indispensable de toute existence aristocratique.

Ce fut sous ces heureux auspices que votre père entra dans le monde, et qu’après avoir mangé à Temple-Bar le nombre de côtelettes voulu par les réglemens, il fut reçu avocat et devint, après d’éclatans succès au barreau, l’un des juges d’Angleterre. Sa fortune s’accrut dans cette position lucrative, et son influence grandit avec elle ; il eût déjà pu s’asseoir dans la chapelle de Saint-Étienne, s’il n’avait préféré aux devoirs législatifs la vie active et honorée que lui faisaient ses fonctions. Toutes ses préoccupations d’ailleurs reposaient sur vous, l’aîné de ses enfans et l’unique héritier de ses grands biens.

Cependant vous viviez à l’université, au milieu de cette jeunesse d’élite pour laquelle l’existence politique commence à bien dire dans l’enceinte du collége, et vous pouviez déjà contracter, avec toute la génération pour laquelle allait s’ouvrir la carrière des affaires, ces précieuses liaisons qui donnent tant de force dans les épreuves de la vie publique. À Cambridge, on vous traitait en gentleman commoner ; personne n’ignorait, et vous ignoriez moins que personne, qu’après vos études classiques terminées et votre éducation complétée par un voyage sur le continent, vous auriez à justifier à