Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
LA TERREUR EN BRETAGNE.

le conseil d’user modestement de sa disgrace. Plus tard, en 1787, il fut envoyé par la noblesse bretonne pour réclamer la conservation des priviléges de la province, et eut encore la gloire d’une persécution. On l’enferma à la Bastille. Mais ses velléités révolutionnaires s’évanouirent le jour où les droits de la noblesse furent mis en question. Il avait protesté à Rennes et à Saint-Brieuc contre les prétentions du tiers ; dès que ces prétentions furent devenues des lois, il songea à la révolte et commença à la préparer dans son château de La Rouërie.

Rien ne manquait à Tuffin pour devenir chef de parti. Il ne possédait pas seulement toutes les qualités, mais, ce qui est aussi rare peut-être, tous les vices nécessaires pour jouer ce rôle. Audacieux, adroit, trop mobile pour tomber dans de longs découragemens, il avait cette impressionnabilité pour ainsi dire volontaire qui permet tour à tour l’exaltation et le calcul, la bonne foi et la dissimulation. Long-temps occupé d’intrigues de femmes, il avait appris à serpenter habilement entre les amours-propres : on pouvait le surprendre, jamais le déconcerter. Doué enfin d’un courage que l’on citait dans une noblesse où le courage était la plus vulgaire des vertus, il était capable d’exécuter tout ce qu’il osait concevoir. Orgueilleux du reste, et capable d’une mauvaise action lorsqu’elle le conduisait au but, mais patient comme tous les hommes de cour, gai comme tous les voluptueux, il pouvait braver la faim, la soif, la fatigue et le froid, sans se plaindre ni s’abattre.

Dès la fin de 1791, Tuffin de La Rouërie avait créé, dans les principales villes de Bretagne, des comités royalistes et avait commencé à recruter des combattans. Attaqué dans son château vers la fin de mai 1792, il s’était échappé par miracle et avait déterminé une première insurrection qui n’eut d’autre résultat que de faire monter sur l’échafaud Elliot et Malœuvre, ses complices. Depuis lors, il parcourut la Bretagne, toujours poursuivi, mais fuyant de château en château, de chaumière en chaumière, ravivant les colères ou les douleurs, semant les promesses, servant de lien aux haines isolées, et laissant partout, sur son passage, comme une traînée de guerre civile à laquelle il se réservait de mettre le feu quand il en serait temps.

Or, l’heure propice était évidemment venue. Nous avons déjà dit dans quel péril se trouvait placée la république. Le mois de février 1793 venait de finir, et les discordes qui agitaient la convention avaient pris une violence alarmante. Soutenus par les sections et la