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l’assimilation de la Nouvelle-Zélande avec Taïti et les Sandwich ne tranche-t-elle pas souverainement la difficulté ?

Non, il n’y a pas de droit sérieux du côté de l’Angleterre, et il y a, du côté de la France, un intérêt réel à ce que la Nouvelle-Zélande conserve son indépendance. Depuis quelques années, le principal rendez-vous de nos baleiniers est dans les nombreuses rades qui l’entourent. À la date des dernières nouvelles, on en comptait neuf dans la seule baie des Îles. C’est beaucoup, vu l’état de notre marine marchande. Aujourd’hui, ces pêcheurs sont accueillis dans les hâvres zélandais au même titre et sur le même pied que ceux de l’Angleterre. Que celle-ci s’approprie cet archipel, et à l’instant même des taxes différentielles d’ancrage et de tonnage, des droits d’entrée et de sortie, rendront ces relâches onéreuses à nos bâtimens, qui déjà contiennent mal une concurrence redoutable. Vienne ensuite une guerre, et, placés sous le canon britannique, nos bâtimens seront confisqués en un clin d’œil. Nous avons vu avec regret, nous l’avouons, une plume habile aller au-devant des projets de l’Angleterre, les pressentir, les caresser, presque les encourager. La hardiesse n’est pas ce qui manque à nos entreprenans voisins, et ce n’est point à nous de leur donner du cœur. Oublions qu’il existe sur ces îles des Français qui invoquent quelques sympathies d’origine, oublions qu’il y a là aussi un prêtre catholique, un évêque en butte aux haines de schismes intolérans et qui se réclame de notre nationalité, à défaut de notre orthodoxie[1]. Ne tenons compte que des intérêts, puisqu’ils ont la parole haute de notre temps. La Nouvelle-Zélande n’appartient encore qu’à la spéculation particulière ; pourquoi la France en céderait-elle sa part ? Pourquoi n’aurait-elle pas son lot dans ce commerce que l’on dit appelé à de belles destinées, dans ces récoltes de lin, dans ces coupes de bois de construction ? En supposant même que rien ne soit prêt parmi nous pour d’aussi vastes entreprises, pourquoi engagerions-nous l’avenir ? Pourquoi aliénerions-nous des droits qui peuvent être réservés ?

À cela on ne trouve qu’une réponse, c’est que la France n’a pas l’esprit colonisateur. Ce reproche, souvent reproduit, manque de justesse. Dans le courant du siècle passé, nous avons colonisé Saint-Domingue, la Louisiane, le Canada, et notre empreinte ne s’y est point encore effacée. On nous oppose Alger, et en regard on nous

  1. Nous avons eu sous les yeux une lettre vraiment touchante, écrite par M. de Pompallier au capitaine Villeneuve, qui commande avec une fermeté et une activité louables notre station des mers du Sud. Cette situation d’un prêtre isolé, au milieu de concurrens jaloux et de sauvages fanatisés doit exciter l’intérêt et la sollicitude du gouvernement.