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CORRESPONDANCE DE WASHINGTON.

droits, ou nous soumettre à toutes les charges dont on voudra nous accabler. » Il ne demandait pas l’indépendance, mais il déclarait que « jamais aucun homme, sur le continent américain, ne se soumettrait à perdre ses droits et ses priviléges. » Il détestait la rébellion, mais « si le ministère, disait-il, pousse les choses à l’extrême, il y aura plus de sang répandu qu’il n’en a jamais coulé dans les guerres dont les annales de l’Amérique du Nord ont conservé la mémoire. » La Virginie réorganise ses milices : « J’accepterai bien volontiers l’honneur de commander, car ma résolution bien arrêtée est de consacrer ma vie et ma fortune à notre cause. » La journée de Lexington inaugure le règne de la force : « Les plaines de l’Amérique doivent être abreuvées de sang ou habitées par des esclaves. Triste alternative ! mais un homme vertueux peut-il hésiter sur le choix ? » Aussi n’hésite-t-il pas. Le congrès où il siégeait décrète à l’unanimité que les colonies doivent être mises en état de défense. Une armée américaine est formée, le commandement en chef lui en est donné. Il répond « qu’il accepte, qu’il est prêt, mais qu’il ne se croit pas à la hauteur des fonctions difficiles dont on l’honore. — Mon inquiétude est inexprimable, écrit-il à sa femme ; un mois passé près de vous, chez nous, me donnerait cent fois plus de bonheur que sept fois sept ans de commandement ; mais puisque la destinée m’entraîne, j’espère… Je ne pouvais refuser sans ternir ma réputation… Je me confie donc à la Providence[1]. »

On résumerait difficilement la guerre d’Amérique ; il ne serait pas aisé de raconter en peu de mots ces huit années de combats, de souffrances et d’anxiétés, pendant lesquelles tout fut indécis, tout fut en péril jusqu’au dernier jour, et dont l’Europe attentive suivit le spectacle avec un prophétique intérêt. À parler comme les militaires, ce ne fut pas une grande guerre ; mais peu de grandes guerres ont autant ému, autant servi le monde. « Ce sont des rencontres de patrouilles, disait M. de Lafayette à Napoléon, qui ont décidé des droits du genre humain. »

Nul plus que Washington n’a prouvé que dans le gouvernement aussi il n’y a point de génie sans la patience. La sienne fut mise à l’une des plus dures épreuves que puisse subir un homme responsable tout à la fois de son armée et de sa cause. C’était peu que

  1. Lettre à George Mason, 1769, citée par M. Sparks. — Lettre à Bryan Fairfax, 1774 ; tome III de la traduction. — Lettre au capitaine Mackensie, citée par M. Sparks. — Lettre à son frère, citée par le même. — Réponse au congrès et lettre à Mme Marthe Washington, 1775 ; tome III de la traduction.