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intérêt que de comprendre cette disposition et de s’y accommoder. Il leur serait funeste de vouloir contrarier un mouvement qu’ils ont eux-mêmes produit, et de ne pas envisager l’élan industriel dont nous avons le spectacle comme un développement nécessaire et moral du genre humain. Quand les gouvernans, rois, princes ou sénats, creusent des canaux, étendent sur les routes des lignes de fer, décuplent la rapidité des communications, établissent sur tous les points des rapports de commerce et d’échange, des comptoirs, des entrepôts ; quand ils font passer l’agriculture des habitudes d’une pratique instinctive aux procédés puissans que permet l’alliance de la science mécanique et de capitaux nombreux, ils accomplissent une œuvre démocratique, ils travaillent pour tous, et le bon sens des peuples, sans incidenter sur les formes, recueille ces résultats populaires. Laissons marcher le monde dans les voies de l’industrie ; les véritables droits du genre humain ne seront pas pour cela frappés de déchéance ; les progrès de la matière deviendront les moyens de l’esprit. Ne voyons-nous pas la pensée ne rien ralentir de son activité ? Les idées les plus abstraites sont contemporaines des travaux les plus matériels, et la religion n’excite pas moins de ferveur que l’industrie. L’ébranlement communiqué aux imaginations et aux ames par la révolution française a fécondé chez les uns les travaux de la science, a rallumé chez d’autres les ardeurs de la foi. Les rapports de la philosophie et de la religion ont paru plus étroits et plus vifs, et l’identité de leurs élémens s’est fait jour à travers de spécieuses hostilités. De nos jours, l’humanité se livre également à deux dispositions qui semblent cependant fort contraires  : nous voulons dire l’abstraction et le mysticisme. Par l’abstraction, l’intelligence, se repliant sur elle-même, soumet la réalité à une décomposition analytique. Par le mysticisme, l’ame, sortant d’elle même sur les ailes de la foi, enveloppe le monde d’une synthèse dont la grandeur passionnée défie le scepticisme. L’homme aujourd’hui, tout ensemble abstrait et mystique, examine toutes les idées, passe par toutes les croyances, étudie les titres de la loi connue, cherche les possibilités d’une loi nouvelle, soupçonne l’avenir, défend le passé, et témoigne de sa puissance par les contradictions qui le déchirent. Heureusement, au milieu de toutes ces luttes et de toutes ces divisions, s’élève la liberté : les hommes ont enfin cette conviction dans le cœur, que la violence ne doit pas être appelée au secours des croyances et des idées ; la religion et la philosophie doivent mutuellement se déclarer inviolables. Dans ce siècle, l’unité est d’autant