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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

çâmes une prudente navigation, pénétrant dans toutes les anses, nous abritant derrière les caps, perdant sans doute beaucoup de temps au grand mécontentement de nos bateliers, mais jouissant de la double satisfaction d’éviter le mal de mer et de pouvoir admirer le paysage dans ses moindres détails.

Toute cette côte, qui s’étend de Vietri au cap du Tombeau, est singulièrement triste ; elle présente de grandes pentes boisées par places, ou des escarpemens de roches calcaires couronnés de créneaux et d’obélisques naturels. De distance en distance, ces escarpemens sont sillonnés d’étroites et profondes vallées au fond desquelles bouillonnent les eaux noires d’un torrent. À l’embouchure du torrent s’élèvent quelques petites maisons sans toits ou aux terrasses cintrées comme le couvercle d’un tombeau. Chacune de ces maisons, qu’ombrage un oranger ou un figuier qu’à leurs dimensions et à leur stature robuste on prendrait pour de grands chênes, sert d’asile à une famille de pêcheurs dont les filets sèchent au soleil, près de la barque échouée sur le sable.

Toujours côtoyant, nous arrivâmes bientôt à Cetara, le premier port de la Costiera[1] d’Amalfi. C’était l’heure de midi, et sa flottille, composée d’une trentaine de barques de pêcheurs, profitait de la brise de mer pour gagner le large en louvoyant. Ces voiles blanches, que le vent poussait dans la même direction, leur donnant à chacune la même forme triangulaire, éclairées par l’ardent soleil du midi, égayaient toute cette partie du golfe. Ce départ des pêcheurs, leurs cris de joie, les chants qu’ils répétaient en chœur et dont ils se renvoyaient les refrains d’une barque à l’autre, donnaient au paysage de Cetara une inexprimable couleur antique. Les souvenirs, il est vrai, aidaient à l’illusion ; car devant nous, sur cette pointe élevée d’Erchia, nos mariniers nous montraient les ruines d’un temple antique consacré à Hercule, qui aurait laissé son nom à ce promontoire, et à notre gauche les monts de Pœstum et de l’Agropoli fermaient l’horizon de leur barrière azurée.

Cetara, au temps de la république d’Amalfi, était la dernière de ses possessions du côté de Salerne. Aujourd’hui cette petite ville, peuplée de 2,400 habitans, fait partie du district de la Cava. Cetara, du IXe au XIe siècle, fut, à diverses reprises, occupée par les Sarrasins.

Les habitans de Cetara ont gardé quelque chose de leur origine sarrasine ; leur visage maigre et olivâtre, leurs bras et leurs jambes couleur de cuivre, leurs chants rudes et gutturaux, l’éclat inaccoutumé de leurs yeux noirs qui brillent comme des étoiles sous leur brun capuchon, tout jusqu’à ce vêtement des pêcheurs, pareil au burnouss des Arabes, complète la ressemblance, que leurs mœurs rendent encore plus parfaite. Cetara est en effet l’un des bourgs les plus mal famés du royaume de Naples, après ceux des Calabres. Les riverains du golfe se rappellent encore avec terreur le brigandage et les pirateries qu’exercèrent en 1799 une poignée d’hommes déterminés, fortifiés dans cette

  1. On appelle Costiera d’Amalfi toute la partie du golfe de Salerne qui s’étend de Cetara à Positano. C’est à peu de chose près le territoire de l’ancienne république.