Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

Les jardins de Minori, comme ceux de Majori, abondent en fruits de toute espèce ; mais ses habitans s’adonnent surtout à la culture d’une espèce de gros cédrat, qu’on appelle ponsiri. Rien de merveilleux comme un bel arbre chargé de ces fruits, dont quelques-uns ont la grosseur de la tête. On pourrait croire que les souhaits de l’homme de La Fontaine se sont réalisés, et que les chênes portent des citrouilles. Les ponsiri de Minori sont bien supérieurs à tous les autres cédrats du royaume de Naples ; leur dureté et leur suc, d’une exquise acidité, les rendent même préférables aux cédrats de Sicile. Ils ont sur ces derniers l’avantage de pouvoir supporter de longues navigations ; aussi en expédie-t-on de grandes quantités à Rome, Livourne, Gênes, Marseille, et même dans l’Orient. Ce sont les ponsiri de Minori que, dans leur paradis, les Turcs font servir aux élus sur des plats d’argent par des pages richement vêtus[1].

II. — AMALFI.

Plus l’on s’éloigne du cap du Tombeau, plus l’aspect du pays devient ravissant. Il semble que d’un affreux désert on soit passé dans une terre promise. De tous côtés de beaux bourgs et de jolis villages se groupent sur les pentes des collines, ou s’élèvent en amphithéâtre jusqu’au sommet des montagnes. Souvent cinq de ces bourgs ou de ces villages sont étagés l’un sur l’autre, Villamena sur Minori, Ravello sur Villamena, Saint-Martino sur Ravello, et enfin Cesarano sur Saint-Martino. Ce dernier village, perdu dans les nuages, auxquels se mêlent les fumées de ses maisons, est bâti sur l’un des pics les plus élevés du mont Cereto ; c’est un nid d’aigle habité par des hommes.

En avant de ces villages, et à l’entrée d’une vallée si étroite et si sombre qu’on la prendrait pour la bouche d’une vaste caverne dont la voûte se serait écroulée, on aperçoit Atrani. Ses maisons occupent le fond du ravin, ou sont admirablement groupées sur des rochers des deux côtés de la vallée. La plus élevée de ces maisons, à droite du ravin, et non loin d’une chapelle collée au rocher, à l’entrée d’une immense grotte, est la maison du fameux Masaniello (Thomas Agnello). Pour un pêcheur, la situation était singulièrement choisie ; cette position aérienne et isolée eût mieux convenu aux méditations d’un

  1. « Après que les Turcs auront bu et mangé leur saoul dedans ce paradis, alors les pages, ornés de leurs joyaux et de pierres précieuses et anneaux aux bras, mains, jambes et oreilles, viendront aux Turcs, chacun tenant un beau plat à la main, portant un gros citron ou poncire dedans, que les Turcs prendront pour odorer et sentir, et soudain que chaque Turc l’aura approché de son nez, il sortira une belle vierge, bien ornée d’accoutremens, qui embrassera le Turc et le Turc elle… Et, après cinquante ans, Dieu leur dira : Ô mes serviteurs ! puisque vous avez fait grand’chère en mon paradis, je vous veuille montrer mon visage, etc. » (Pierre Belon, Observations de plusieurs singularités, liv. III, ch. IX, pag. 392.)