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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/380

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REVUE DES DEUX MONDES.

les années où l’on pouvait prévenir ou diriger la révolution française. Dès-lors la révolution, qu’en fait on n’avait pas prévenue, se partage, pour M. Droz, en deux périodes distinctes : celle où la révolution pouvait être dirigée et accomplie sans bouleversemens, et celle où, échappant désormais à toute direction sage et mesurée, elle se trouvait livrée à la violence des partis ; en d’autres termes la révolution légale et la révolution par coups d’état, la révolution que les pouvoirs établis reçoivent dans leur sein en se modifiant, et la révolution qui les envahit et les renverse ; la révolution qui, en associant la monarchie aux libertés publiques, la consolide, et celle qui, la proclamant ennemie implacable du peuple, l’attaque, la foule aux pieds et l’anéantit.

Ces deux périodes, on le voit, sont non-seulement différentes, mais jusqu’à un certain point indépendantes l’une de l’autre. Il existe sans doute entre elles un lien, un lien qui peut être regardé comme un rapport de cause à effet, la seconde phase n’ayant lieu que parce que, dans la première, on n’a pas eu le pouvoir, selon les uns, selon d’autres la volonté de réaliser les vœux légitimes de la révolution. Mais évidemment la seconde partie est dépendante de la première plus que celle-ci ne l’est de la seconde. La première forme un tout qui peut être étudié avec profit, sans qu’on ait besoin de connaître de la seconde autre chose que ses résultats généraux et notoires. C’est ainsi que, sans manquer aux lois de l’unité, on pourrait écrire la biographie d’un homme heureusement doué de la nature, en s’arrêtant au jour où les vices de son éducation, l’impéritie et les mauvaises passions de ses instituteurs l’auraient, malgré ses nobles dispositions et son heureux naturel, jeté dans les plus déplorables excès. On n’écrirait pas l’histoire d’une vie d’égarement et de désordre, mais celle d’une éducation manquée. Le but ne serait pas de mettre en relief et de montrer en détail les funestes résultats de la folie humaine, mais de faire sentir que notre avenir dépend toujours soit de nous-mêmes, soit de la moralité et de l’habileté de ceux qui ont le pouvoir et le droit de nous instruire et de nous diriger. Il y a là un enseignement complet, élevé, un puissant appel à la responsabilité morale de l’homme, un noble commentaire du vieil adage : Principiis obsta, sero medicina paratur.

On peut donc regretter que M. Droz n’ait pas mis la main à une œuvre plus étendue, élevé un plus vaste édifice ; on peut le regretter comme on regrette tout ce qu’un homme habile pourrait faire et ne fait pas. Mais, tel qu’il est, le monument ne laisse rien à