Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
REVUE DES DEUX MONDES.

application et de tout objet externe, que se résout la certitude de toutes les connaissances humaines.

Or, si nous examinons le point de vue sous lequel on a envisagé jusqu’ici la métaphysique, nous verrons qu’on a précisément négligé ce qui seul pouvait en fonder la certitude, c’est-à-dire la nature même de l’esprit humain et de ses lois considérées indépendamment des objets auxquels elles s’appliquent. On s’est occupé des objets de nos connaissances et non de l’esprit qui connaît ; on a demandé ce que c’était que Dieu, s’il était ou s’il n’était pas ; on a fait des systèmes sur le monde ; on a comparé les divers êtres entre eux ; on a saisi des rapports ; on a tiré des conséquences, toujours en travaillant sur des objets, c’est-à-dire sur des existences hypothétiques. Il est peu de philosophes qui aient considéré les connaissances dans leur rapport avec l’esprit humain. C’était là cependant le seul moyen d’arriver à quelque chose de certain, et d’élever la métaphysique à la certitude de la physique, des mathématiques et de la logique.

Frappé de cette idée, Kant entreprit de faire porter sur le sujet même de la connaissance les recherches qui jusque-là ne s’étaient guère appliquées qu’à ses objets : il entreprit en métaphysique la même révolution que Copernic avait opérée en astronomie. Copernic, voyant qu’il était impossible d’expliquer les mouvemens des corps célestes, si l’on supposait que ces corps tournent autour de la terre immobile, fit tourner la terre avec eux autour du soleil ; de même Kant, au lieu de faire tourner l’homme autour des objets, fit tourner les objets autour de l’homme.

Ôtez l’esprit de l’homme et sa constitution nécessaire, il ne vous reste des objets que des notions sans fondement ; vous élèverez une théorie hypothétique qu’une autre théorie hypothétique renversera pour être renversée à son tour ; les systèmes et les écoles se succéderont sans que la science avance, et la métaphysique, soumise à de continuelles révolutions, cherchera vainement une certitude qui la fuit toujours. Si au contraire, prenant l’esprit humain pour point de départ, on s’attache à déterminer exactement sa nature et à décrire avec rigueur ses lois et leur portée légitime, on donne à la métaphysique une base solide.

Une telle recherche n’est pas la science, mais elle en est la condition. « En nier l’utilité, dit Kant, c’est vouloir nier l’utilité de la police, parce que la seule fonction de la police est d’empêcher les violences auxquelles on pourrait se livrer sans elle, et de faire en sorte que tout le monde vaque à ses affaires avec sécurité. »