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naires. Voyant le nom de M. Lemercier indiqué pour une première représentation, il dit au poète : « Vous ne donnez pas Charlemagne, vous tomberez. » Le tumulte en effet fut si violent, que l’auteur retira son manuscrit des mains du souffleur au troisième acte. Le lendemain les feuilletons se déchaînèrent contre « les dangereuses bizarreries de cet esprit inventif. » Le Mercure prouva que le héros était sorti de « l’hôpital des fous, » et Geoffroy, renchérissant sur ses confrères, proclama la pièce « une parade burlesque, donnant le spectacle d’une dévote séduite par son directeur. » Si la nouvelle tragédie, Isule et Orovèse, était une œuvre avortée, on y retrouvait encore de loin en loin des éclats puissans et de mâles beautés. Le prêtre gaulois a d’avance l’amour implacable de Claude Frollo, et ce type idéal et solitaire se détache déjà dans l’ombre. Cependant, malgré la dureté du style, Isule se dévoue trop comme Iphigénie, et il reste là quelque faux reflet du ciel de la Grèce. C’est bien le pays de Teutatès et des Carnutes ; mais où est donc la lyre d’or de Velléda ?

Bravant les sifflets officiels, — et tous les sifflets, même mérités, prirent bientôt ce caractère aux yeux du poète mécontent, — M. Lemercier adressa l’édition d’Isule à Mme Bonaparte, qui avait depuis long-temps accepté la dédicace. Ceci se passait en 1803, et ne faisait que mettre de plus en plus au vif ce vieil et opiniâtre amour de la liberté, auquel l’auteur d’Agamemnon voulait, malgré tout, rester fidèle. Comme il avait accepté du consul le brevet de la Légion d’Honneur, l’avènement de l’empire l’obligeait à de nouveaux sermens. Il lui parut donc qu’il fallait subir le joug ou entrer ouvertement en lutte. M. Lemercier n’hésita point, et la lettre suivante parvint à Napoléon en même temps que le sénatus-consulte qui l’appelait au trône :


AU CITOYEN PREMIER CONSUL
14 floréal, an XII.

« Bonaparte, car le nom que vous vous êtes fait est plus mémorable que les titres qu’on vous fait, vous m’avez permis d’approcher assez de votre personne pour qu’une sincère affection pour vous se mêlât souvent à mon admiration pour vos qualités ; je suis donc profondément affligé de ce qu’ayant pu vous placer dans l’histoire au rang des fondateurs, vous préfériez être imitateur.

« Mes sentimens particuliers, plus que votre autorité, me font, à dater de