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POÉTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

et M. de Féletz céda seulement, je suppose, aux nécessités de la presse impériale, en déclarant très raisonnables les conclusions de M. Merlin.

La chute de Napoléon délivra l’auteur de Plaute d’un despotisme militaire dont il s’exagérait quelque peu la violence. Le bruit s’étant répandu que l’empereur, à l’île d’Elbe, écrivait ses mémoires historiques, le poète en prit le sujet d’une épître très amère qui fit éclat. Il rappelait au conquérant tombé les prédictions sinistres qu’il lui avait faites. Une colère toute personnelle apparaissait sous ces rimes vigoureuses, et la blessure saignante encore s’y montrait à nu. Cette haine avait entraîné M. Lemercier à des hardiesses de mauvais goût ; Dussault s’en effraya, et appuyant sur la démence raisonnée, sur le scandale de ces innovations prolongées, il déclara M. Lemercier « un homme perdu pour les lettres. »

M. Lemercier a donc eu beau faire. Malgré ses concessions à la poésie de l’empire, il est au théâtre le père de cette école moderne que l’imitation étrangère et tant d’autres influences ont modifiée depuis. Dans ses boutades classiques, Dussault devinait juste. C’est une généalogie qu’on peut nier des deux côtés, mais qui est réelle. Seulement il est facile de deviner que l’auteur de Pinto ne regarde pas comme de sa descendance Marie Tudor et la Tour de Nesle qu’il renvoie volontiers au genre agrandi de Ducange et de Pixéricourt. Pour ma part, sans doute, je ne voudrais pas que Pinto fût regardé comme un terme suprême dans les hardiesses dramatiques. À Dieu ne plaise ! Les colonnes d’Hercule ne sont bonnes qu’en mythologie ; mais, pour n’aimer pas les limites étroitement déterminées, est-ce à dire qu’il faille à la scène pousser la liberté jusqu’à la licence ? Remarquons-le en passant, pour se montrer juste à l’égard de la moderne école poétique, il importe de mettre le théâtre à part ; et cela est facile à comprendre. Avec des aïeux tels que Corneille et Molière, tels que Racine, l’art ne semble pouvoir grandir que dans des sphères inconnues et par des œuvres profondément empreintes des originalités et des perfections d’un génie nouveau. La poésie pure, au contraire, n’étalait guère dans ses plus glorieux trophées que quelques rares stances de J.-B. Rousseau. De là peut-être les efforts impuissans et sans frein du drame moderne ; de là, le succès, au contraire, et la légitimité souvent, à son origine du moins, du mouvement lyrique auquel se rattachent diversement M. de Lamartine et M. Victor Hugo, M. Sainte Beuve et M. de Vigny.

Pendant les cent jours, Napoléon s’informa de M. Lemercier ; il se