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REVUE LITTÉRAIRE DE LA GRANDE-BRETAGNE.

Godwin, de Southey, de Wordsworth. Ils se sont adressés à l’humanité tout entière, Walter Scott surtout, moins remarquable par l’élévation et le coloris que par l’immensité charmante de sa sympathie humaine. C’est sa gloire, comme celle de Goethe. Crabbe et Cowper, intelligences rares, admirables poètes, sont des génies beaucoup plus étroits. On doit à Bulwer cet hommage, qu’il a cherché aussi la généralité des vues. Mais une multitude de talens secondaires, applaudis pendant une année ou deux, se sont engagés et égarés dans les sentiers les plus resserrés et les plus imperceptibles : tel n’a peint qu’un vaisseau, tel n’a parlé que des prisons, telle femme n’a voulu chanter que son enfant, telle autre s’est consacrée à la Bible. Il est résulté de tout cela des succès passagers couronnant des travaux incomplets, des gloires écourtées passant d’une tête à l’autre, et l’Angleterre assiste aujourd’hui aux résultats extrêmes de cette analyse sans fin. Un mouvement intellectuel ne s’arrête que lorsqu’il est épuisé. L’analyse protestante, en créant les spécialités et en appliquant la division du travail aux œuvres de l’esprit, a détruit les grands travaux philosophiques.

L’Angleterre, au lieu d’une grande littérature, possède donc aujourd’hui une centaine de genres littéraires. La littérature des gravures et la littérature comique jouissent surtout de la faveur universelle. On voit paraître de temps à autre quelques débris de la littérature maritime, par exemple le Spitfire assez bon roman du capitaine Chamier ; les calembours de Hood, les facéties de Cruishank et de ses acolytes obtiennent bien plus de succès. Une Revue entière (the Humorist) exploite la farce au bénéfice d’un libraire ; vous avez le Comic Almanach, le Comic Annual, le Comic Review, et même, qui le croirait ? une grammaire latine comique ! On a tourné le gérondif en calembour et prêté un masque de carnaval au participe absolu. La décadence littéraire qui succède à l’époque féconde des Walter Scott et des lord Byron n’a pas de signe plus certain. Cependant la satire de Swift est morte ; personne ne relève ce sceptre de la raillerie puissante et de l’imagination hardie ou délicate, que Sterne avait transmis à Charles Lamb : les épigrammes ingénieuses de Thomas Moore ont clos la liste des observateurs caustiques. Un anonyme qui s’est récemment essayé dans cette carrière, et qui a publié de détestables Observations lunaires, écrites tout au plus pour les habitans de la lune, mérite à peine d’être cité.

Le vieux Southey, recueillant, comme Jean-Paul-Frédéric Richter, les débris de ses lectures et les recoupes de son érudition, en a com-