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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

C’est une erreur de croire que la poésie ne doive se produire que directement. On l’a dit, dans sa délicatesse première elle est presque une qualité de l’ame et une vertu. Laissée entière sur sa tige, elle est comme la fleur virginale du devoir ; à demi cueillie et contenue, elle embaume souvent toute une vie et la pénètre, comme ferait un aromate secret. Produite, au contraire, elle s’évapore, s’altère plus ou moins dans cette atmosphère publique de vanité, et, quand d’autres la respirent à l’envi, le cœur même d’où elle est sortie peut demeurer aigri ou désert. Tandis qu’au moral cela se passe d’ordinaire ainsi, littérairement la poésie rentrée a d’autres détours encore. Qu’est-ce, par exemple, que cet esprit de poésie appliqué en dessous à la critique, à l’histoire littéraire ? Est-ce par des fleurs qu’il va se produire ? Est-ce par une certaine sentimentalité extérieure ? par des élancemens hors de propos ? Oh ! non pas ; tout cela est de la fausse rhétorique et de la pure phrase. Sera-ce du moins par une certaine forme d’art, par une certaine lumière vive et juste d’expression qu’il se fera jour et resplendira à travers l’analyse ? Oh ! à la bonne heure ! ce serait davantage cela. La critique ainsi faite, l’histoire littéraire ainsi arrosée par des sources secrètes reparues à temps et largement brillantes au soleil, ressemblerait dans ses plus heureuses perspectives à ces fertiles contrées merveilleusement touchées par le poète :

À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées,
De Luz et d’Argelès se montraient les vallées[1].

Mais ce serait trop beau ; et, quand on le pourrait à force de talent, la disposition même des sujets, et, pour ainsi dire, l’ingratitude des lieux ne répondraient pas. Tant de richesse riante n’est pas nécessaire pour que l’esprit poétique dont je parle, et qui s’est refoulé, se refasse son emploi. L’expression même dans son éclat étant absente, et la surface se conformant avant tout aux ressources du fonds, il y a lieu à quelque chose de plus secret. Le poète, sous le critique, se retrouve, et ne fait qu’un avec lui par l’esprit, la vie, et le sens propre qu’il découvre et rend aux choses à chaque moment. Cette intelligence secrète et sentie que n’ont pas eue tant d’estimables historiens, pourtant réputés à bon droit critiques, ce don, cet art particulier dont la sobre magie se dissimule à chaque pas qui ne con-

    lui son mâle récit en vers des aventures du héros Sigour, sa haute et grave contemplation dédiée à son père et intitulée Uranie.

  1. Alfred de Vigny, le Cor.