Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
REVUE DES DEUX MONDES.

en lui donnant des raisons dont elle ne la croyait point dupe. Elle lui représentait que sa santé était un peu altérée par les continuels travaux du ménage ; qu’elle avait besoin de mouvement, de distraction. On lui fit même ordonnancer par le médecin un système de vie moins sédentaire. Tout échoua contre cette résistance inerte, qui est la force des caractères froids. Enfin Laurence imagina de demander à son amie, comme un service, qu’elle vînt l’aider au théâtre à s’habiller et à changer de costume dans sa loge. La femme de chambre était maladroite, disait-on ; Mme S… était souffrante et succombait à la fatigue de cette vie agitée ; Laurence y succombait elle-même. Les tendres soins d’une amie pouvaient seuls adoucir les corvées journalières du métier. Pauline, forcée dans ses derniers retranchemens, et poussée d’ailleurs par un reste d’amitié et de dévouement, céda, mais avec une répugnance secrète. Voir de près et chaque jour les triomphes de Laurence était une souffrance à laquelle jamais elle n’avait pu s’habituer ; et maintenant cette souffrance devenait plus cuisante. Pauline commençait à pressentir son malheur. Depuis que Montgenays s’était mis en tête l’espérance de réussir auprès de l’actrice, il laissait percer par instans, malgré lui, son dédain pour la provinciale. Pauline ne voulait pas s’éclairer, elle fermait les yeux à l’évidence avec terreur ; mais, en dépit d’elle-même, la tristesse et la jalousie étaient entrées dans son ame.

vi.

Montgenays vit les précautions que Laurence prenait pour l’éloigner de Pauline, il vit aussi la sombre tristesse qui s’emparait de cette jeune fille, il la pressa de questions ; mais comme elle était encore avec lui sur la défensive, et qu’il ne pouvait plus lui parler qu’à la dérobée, il ne put rien apprendre de certain. Seulement il remarqua l’espèce d’autorité que, dans la candeur de son amitié, Laurence ne craignait pas de s’arroger sur son amie, et il remarqua aussi que Pauline ne s’y soumettait qu’avec une sorte d’indignation contenue. Il crut que Laurence commençait à la faire souffrir de sa jalousie ; il ne voulut pas supposer que ses préférences pour une autre pussent laisser Laurence indifférente et loyale.

Il continua à jouer ce rôle fantasque, décousu avec intention, qui devait les laisser toutes deux dans l’incertitude. Il affecta de passer