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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

n’atteint pas. Mais la poésie, la grace de son sujet, M. Ampère ne l’a pas toute détachée et mise à part dans son Olga ; cette fleur respire avec discrétion et sentiment en d’aimables passages, comme, par exemple, en ces endroits si bien touchés des chastes mariages chrétiens, où les époux convertis n’étaient plus que frère et sœur, où l’épouse rougissante revenait à la virginité[1].

En procédant toujours par des faits précis plutôt que par développement rationnel ou effusion oratoire, et plutôt en traits qu’en couleurs, l’historien s’élève avec son sujet, et, à l’heure de l’immense catastrophe où la société s’abîme, il atteint à une véritable éloquence dans la forte étude qu’il nous ouvre de Grégoire de Tours, cet Hérodote de la barbarie. Il en compare fidèlement l’histoire, dans son continuel antagonisme du barbare et du chrétien, à ces vitraux de la cathédrale de Reims qui représentent constamment un roi et un évêque, et l’évêque toujours au-dessus du roi[2]. Au sortir de Grégoire de Tours, avec le rhéteur et rimeur Fortunat, il garde tout son piquant et sait être neuf dans ce curieux portrait, même après Augustin Thierry.

Il avait su l’être également, après M. Guizot, dans l’examen des grandes hérésies chrétiennes, le gnosticisme, l’arianisme, le pélagianisme. Il ajoute, dans l’explication de ces doctrines, quelque chose aux simples et hautes traductions philosophiques qu’en avait posées ce grand devancier. La loi de décroissance dans l’ordre des hérésies et de progrès dans l’affermissement du christianisme est lumineusement aperçue. À mesure que le christianisme s’étend et se définit, le champ du combat se circonscrit de plus en plus. Les luttes du gnosticisme se passaient au sein du Père en quelque sorte et remettaient en question Jéhovah ; celles de l’arianisme, qui viennent ensuite, s’agitent entre le Père mis hors de cause et le Fils, et comme au sein du Fils. Les querelles du pélagianisme et du semi-pélagianisme enfin n’ont plus guère leur point principal que dans l’homme.

  1. Tome I, pages 277, 348 ; et dans le choix de certains exemples, tome I, page 441.
  2. M. Ampère est fertile en pareilles images appropriées, mais qui se dissimulent plutôt chez lui sous un tour d’ingénieuse exactitude, et qui surtout ne s’affichent jamais en s’étalant. Je note seulement encore sa grande image sur le gnosticisme, tome I, page 187, et celle sur les médailles d’argent des Grecs opposées aux médailles de bronze des Romains, I, 128. On a tant abusé de l’imagination en ce temps-ci, qu’on a besoin de la signaler du doigt là où elle ne brille que dans sa justesse.