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PAULINE.

maîtresse, Lavallée se glissa auprès d’elle, et en deux mots l’informa de ce qui s’était passé. Il lui dit de faire la malade et de ne point recevoir Montgenays le lendemain ; puis il retourna auprès de celui-ci, et le reconduisit chez lui, où il s’installa jusqu’au matin, lui montant toujours la tête, et s’amusant tout seul, avec un sérieux vraiment comique, de tous les romans qu’il lui suggérait. Il ne sortit de chez lui qu’après lui avoir persuadé d’écrire à Laurence, et, à midi, il y retourna et voulut lire cette lettre que Montgenays, en proie à une insomnie délirante, avait déjà faite et refaite cent fois. Le comédien feignit de la trouver trop timide, trop peu explicite. — Soyez sûr, lui dit-il, que Laurence doutera de vous encore longtemps ; votre fantaisie pour Pauline a dû lui inspirer une inquiétude que vous aurez de la peine à détruire. Vous savez l’orgueil des femmes ; il faut sacrifier la provinciale et vous exprimer clairement sur le peu de cas que vous en faites. Vous pouvez arranger cela sans manquer à la galanterie. Dites que Pauline est un ange peut-être, mais qu’une femme comme Laurence est plus qu’un ange ; dites ce que vous savez si bien écrire dans vos nouvelles et dans vos saynètes. Allez, et surtout ne perdez pas de temps ; on ne sait pas ce qui peut se passer entre ces deux femmes. Laurence est romanesque, elle a les instincts sublimes d’une reine de tragédie. Un mouvement généreux, un reste de crainte, peuvent la porter à s’immoler à sa rivale… Rassurez-la pleinement, et si elle vous aime, comme je le crois, comme j’en ai la ferme conviction, bien qu’on n’ait jamais voulu me l’avouer, je vous réponds que la joie du triomphe fera taire tous les scrupules.

Montgenays hésita, écrivit, déchira la lettre, la recommença… Lavallée la porta à Laurence.

vii.

Huit jours se passèrent sans que Montgenays pût être reçu chez Laurence, et sans qu’il osât aller demander compte à Lavallée de ce silence et de cette consigne, tant il était honteux de l’idée d’avoir fait une école, et tant il craignait d’en acquérir la certitude.

Pendant qu’elles étaient ainsi enfermées, Pauline et Laurence étaient en proie aux orages intérieurs. Laurence avait tout fait pour amener son amie à un épanchement de cœur qu’il lui avait été impossible d’obtenir. Plus elle cherchait à la dégoûter de Montgenays, plus elle irritait sa souffrance sans hâter la crise favorable dont elle espérait son salut. Pauline s’offensait des efforts qu’on faisait pour