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changea de couleur ; de limoneuse et trouble qu’elle était, elle prit soudainement une teinte rouge foncée de minium. Ce changement, qui s’était opéré tout à coup, sans que le fleuve augmentât ou diminuât de volume, dura quinze jours, et disparut aussi brusquement qu’il s’était manifesté. Je cherchai à connaître quelle pouvait être la cause d’un pareil phénomène, et je m’assurai qu’il était produit par une certaine quantité de péroxide de fer mêlé à de l’argile, et tenu en suspension dans l’eau. Un des affluens du Brazos qui coulent à travers les red lands avait sans doute éprouvé une crue subite et enlevé au sol la matière colorante dont le fleuve était imprégné. Cet affluent devait être de peu d’importance, puisque le volume d’eau était resté le même. Les plus vieux planteurs assuraient que les eaux du Brazos n’avaient jamais offert un tel spectacle ; cependant il était facile de voir que ce phénomène ne se montrait pas pour la première fois. Toutes les criques, tous les ravins qui se rendent au fleuve sont remplis de dépôts argilo-sableux d’un rouge foncé, d’âges différens, et la diminution d’épaisseur de ces dépôts, à mesure qu’on se rapproche du niveau du sol, indique un décroissement d’intensité dans la cause qui lui a donné naissance.

J’ai fait sur le Brazos une observation assez importante, que je livre aux calculs de la science et qui mérite un sérieux examen. Ce fleuve, beaucoup moins considérable que le Mississipi, obéit cependant, comme le Père des eaux, à une impulsion mystérieuse qui le pousse sans cesse de droite à gauche, en lui faisant abandonner une de ses rives pour empiéter sur l’autre : telle est l’origine de plusieurs petits lacs, en forme de fer à cheval, qu’on rencontre çà et là sur la rive droite. Il y en a un à peu de distance de San-Felipe de Austin, qui nourrit encore les mêmes poissons et les mêmes coquilles fluviatiles que le Brazos, et dans lequel on ne saurait méconnaître l’ancien lit du fleuve.

La ville de San-Felipe de Austin occupe, sur le Brazos, une belle position, à l’extrémité orientale d’une immense prairie qui s’étend jusqu’au Colorado. Centre des établissemens anglo-américains dans le Texas, elle était la ville la plus considérable de ce pays à l’époque de l’insurrection. En 1833, un recensement officiel de la population de toute la province portait la sienne, en y comprenant sans doute les campagnes voisines, à plus de 6,000 ames. C’est dans son sein que fut élaboré le plan de la révolution. Les délégués de la convention générale s’y assemblèrent, le 3 novembre 1835, sous la présidence de M. Archer, y établirent un gouvernement provisoire composé d’un