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SANTA-ROSA.

et politiques, un excellent écrivain de plus, un organe ferme, élevé, persuasif.

Sans doute, son esprit n’était pas celui d’un homme de lettres ni d’un philosophe, mais d’un militaire et d’un politique. Il avait l’esprit juste et droit comme le cœur ; il détestait les paradoxes, et dans les matières graves, les opinions hasardées, arbitraires, personnelles, lui inspiraient une profonde répugnance. Il me gourmandait souvent sur plusieurs de mes opinions, et me ramenait sans cesse des sentiers étroits et périlleux des théories personnelles à la grande route du sens commun et de la conscience universelle. Il n’avait ni étendue ni originalité dans la pensée, mais il sentait avec profondeur et énergie, et il s’exprimait, parlait, écrivait avec gravité et avec émotion. Son ouvrage sur la révolution piémontaise a des pages véritablement belles. Et c’était là son coup d’essai ! que n’eût-il pas fait s’il eût vécu ?

En politique, ce prétendu révolutionnaire était d’une modération telle que, s’il eût été en France à la chambre des députés à cette époque, à la fin de 1821, il eût siégé entre M. Royer-Collard et M. Lainé. Mes amis et moi nous étions alors assez mal traités par le ministère de M. de Richelieu, et nous n’étions pas toujours justes envers lui. Santa-Rosa, avec sa gravité accoutumée, réprimait mes vivacités et s’étonnait de celles de mes plus sages amis. Je me souviens qu’un soir, étant chez moi avec M. Humann et M. Royer-Collard, il assista à une discussion sérieuse sur ce qu’il fallait faire dans les circonstances présentes, s’il fallait laisser vivre le ministère Richelieu, que défendaient M. Pasquier, M. Lainé, M. Dessolles, ou s’il fallait le détruire en s’alliant avec le côté droit, conduit par MM. Corbière et Villèle. M. Royer-Collard pensait que si MM. Corbière et de Villèle arrivaient aux affaires, ils n’en auraient pas pour six mois ; et le ministère Richelieu renversé, il voyait derrière MM. de Villèle et Corbière le prompt triomphe de la cause libérale. C’était là une perspective bien séduisante pour un proscrit comme Santa-Rosa. Dans six mois, après un pouvoir violent et éphémère, un ministère libéral qui eût au moins adouci l’exil des réfugiés piémontais, et, en me tirant de disgrace moi et mes amis, ouvert à Santa-Rosa un avenir en France ! Avec quel respect n’entendis-je pas le noble proscrit m’inviter à m’opposer de toutes mes forces à une manœuvre de parti qu’il qualifiait sévèrement : — Ne prenez pas garde à moi, me disait-il, je deviendrai ce que je pourrai ; vous, faites votre devoir : votre devoir de bon citoyen est de ne pas combattre un ministère qui est votre dernière ressource contre la faction ennemie de tout progrès et de