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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/691

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SANTA-ROSA.

n’ayant point d’autre monument à lui élever, j’ai voulu du moins attacher son nom à la partie la moins périssable de mes travaux, en lui dédiant un des volumes de ma traduction de Platon.

Je pose la plume, mon cher ami ; je n’ai fait, vous le voyez, que rassembler des fragmens de correspondance, recueillir des renseignemens dignes de foi, retracer quelques faits, et exprimer des sentimens que quinze années n’ont point affaiblis et qui sont encore dans mon ame aussi vifs, aussi profonds qu’ils l’ont jamais été. Mais je n’ai plus la force de faire passer dans mes paroles l’énergie de mes sentimens. Ce long récit n’a point l’intérêt que j’aurais voulu lui donner. Mon esprit épuisé ne sert plus ni mon cœur ni ma pensée ; ma plume est aussi faible que ma main ; elle a tracé péniblement chacune de ces lignes : il n’y en a pas une qui ne m’ait déchiré le cœur, et je n’aurais pas souffert davantage si j’eusse, de mes mains, creusé la fosse de Santa-Rosa. Et n’est-ce pas, en effet, ce triste devoir que je viens d’accomplir ? Mon cœur n’est-il pas son vrai tombeau ? Encore quelques jours peut-être, la voix, la seule voix qui disait son nom parmi les hommes et le sauvait de l’oubli, sera muette, et Santa-Rosa sera mort une seconde et dernière fois. Mais qu’importe la gloire et ce bruit misérable que l’on fait en ce monde, si quelque chose de lui subsiste dans un monde meilleur, si l’ame que nous avons aimée respire encore avec ses sentimens, ses pensées sublimes, sous l’œil de celui qui la créa ? Que m’importe à moi-même ma douleur dans cet instant fugitif, si bientôt je dois le revoir pour ne m’en séparer jamais ? Ô espérance divine, qui me fait battre le cœur au milieu des incertitudes de l’entendement ! ô problème redoutable que nous avons si souvent agité ensemble ! ô abîme couvert de tant de nuages mêlés d’un peu de lumière ! Après tout, mon cher ami, il est une vérité plus éclatante à mes yeux que toutes les lumières, plus certaine que les mathématiques : c’est l’existence de la divine Providence. Oui, il y a un Dieu, un Dieu qui est une véritable intelligence, qui, par conséquent, a conscience de lui-même, qui a tout fait et tout ordonné avec poids et mesure, dont les œuvres sont excellentes, dont les fins sont adorables, alors même qu’elles sont voilées à nos faibles yeux. Ce monde a un auteur parfait, parfaitement sage et bon. L’homme n’est point un orphelin : il a un père dans le ciel. Que fera ce père de son enfant quand celui-ci lui reviendra ? Rien que de bon. Quoi qu’il arrive, tout sera bien. Tout ce qu’il a fait est bien fait ; tout ce qu’il fera, je l’accepte d’avance, je le