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malgré toi ! » Vous vous êtes couronnée en effet ! Mes larmes, mon humiliation, ma honte, mon déshonneur (car vous m’avez déshonnorée dans votre famille et parmi vos amis), ont été les glorieux fleurons de votre couronne ; mais c’est une royauté de théâtre, une majesté fardée qui n’en impose qu’à vous-même et au public qui vous paie. Maintenant, adieu ; je vous quitte pour jamais, dévorée de la honte d’avoir vécu de vos bienfaits ; je les ai payés cher. »

Laurence n’acheva pas cette lettre ; elle continuait sur ce ton pendant quatre pages : Pauline y avait versé le fiel amassé lentement durant quatre ans de rivalité et de jalousie. Laurence la froissa dans ses mains et la jeta au feu, sans vouloir en lire davantage. Elle se mit au lit avec la fièvre, et y resta huit jours accablée, brisée jusque dans ses entrailles, qui avaient été pour Pauline celles d’une mère et d’une sœur.

Pauline s’était retirée dans une mansarde où elle vécut cachée et vivant misérablement du fruit de son travail durant quelques mois. Montgenays n’avait pas été long à la découvrir ; il la voyait tous les jours, mais il ne put vaincre aisément son stoïcisme. Elle voulait supporter toutes les privations plutôt que de lui devoir un secours. Elle repoussa avec horreur les dons que Laurence faisait glisser dans sa mansarde avec les détours les plus ingénieux. Tout fut inutile. Pauline, qui refusait les offres de Montgenays avec calme et dignité, devinait celles de Laurence avec l’instinct de la haine, et les lui renvoyait avec l’héroïsme de l’orgueil. Elle ne voulut point la voir, quoique Laurence fit mille tentatives ; elle lui renvoyait ses lettres toutes cachetées. Son ressentiment fut inébranlable, et la généreuse sollicitude de Laurence ne fit que lui donner de nouvelles forces.

Comme elle n’aimait pas réellement Montgenays, et qu’elle n’avait voulu que triompher de Laurence en se l’attachant, cet homme sans cœur, qui voulait en faire sa maîtresse ou s’en débarrasser, lui mit presque le marché à la main. Elle le chassa. Mais il lui fit croire que Laurence lui avait pardonné, et qu’il allait retourner chez elle. Aussitôt elle le rappela, et c’est ainsi qu’il la tint sous son empire pendant six mois encore. Il s’attachait à elle de son côté par la difficulté de vaincre sa vertu ; mais il en vint à bout par un odieux moyen bien conforme à son système, et malheureusement bien propre à émouvoir Pauline. Il se condamna à lui dire tous les jours et à toute heure que Laurence était devenue vertueuse par calcul, afin de se faire épouser par un homme riche ou puissant. La régularité des mœurs de Laurence, qu’on remarquait depuis plusieurs années, avait été