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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/746

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REVUE DES DEUX MONDES.

rompue. — Nous voilà bien loin des innocentes utopies du progrès humanitaire.

La psychologie des Druzes vaut leur théorie de la création. Selon eux, il y a dans l’homme deux ames ou substances immatérielles, et, comme les contradictions ne leur coûtent pas, avec cette immobilité fatale de tout à l’heure, avec le retour nécessaire à une forme moins parfaite, même après une vie excellente, ils proclament le libre arbitre le plus absolu. La beauté ou la laideur du corps auquel l’ame s’unit dans ses diverses transformations, a un rapport direct avec la pureté ou la corruption de cette ame. Peut-être (tant sont obscures et enveloppées toutes ces doctrines), peut-être dans les métamorphoses d’hommes en animaux, dont il est parlé, ne faut-il voir que le symbole d’une dégradation morale.

Comme le dogme de Hakem n’est, en réalité, autre chose qu’un mélange bizarre, confus, méconnaissable, des cosmogonies de l’Inde, du judaïsme, du Koran et même de l’Évangile, à côté de rêveries propres aux ambitieux fondateurs de cette secte, le jugement et la résurrection devaient ne pas être oubliés. La fin du monde amènera le triomphe de la religion des Druzes et la punition des méchans. Lorsque Hakem se manifestera au dernier jour, les crimes seront dévoilés. Ceux qui échapperont à l’épée se verront assujétis à un impôt qui les couvrira de honte, à un impôt de deux drachmes et demi. Les apostats porteront un bonnet de peau de porc, long d’une aune ; ils auront aux oreilles des anneaux, de verre noir, brûlans l’été et froids l’hiver. — Ceci n’est qu’un misérable pastiche des terribles mystères de la vallée de Josaphat.

Après avoir défiguré les miracles auxquels croient les mahométans et les chrétiens, Hakem devait aussi réformer la morale du Koran. Les sept commandemens de l’islamisme, parmi lesquels le paiement de la dîme, le jeûne, la guerre contre les infidèles, sont remplacés par sept autres dont le premier et le plus grand est « la véracité dans les paroles. » Les autres se suivent ainsi : « Veiller à la sûreté réciproque, — renoncer à la fausse religion, — se séparer des démons, — reconnaître l’unité de Dieu, — être content de ses œuvres, quelles qu’elles soient, — se résigner aux ordres de Dieu, dans l’une et l’autre fortune. »

Telle est, en résumé, la doctrine des Druzes ; elle enveloppe dans une universelle proscription tous les autres cultes. La haine de l’islamisme est surtout sensible. Pour les chrétiens et les juifs, dont l’existence en Syrie et en Égypte était très précaire au temps de Hakem, ils ne sont dignes que du dédain. Tout en admettant une partie de la Bible, et en l’expliquant au profit de la religion unitaire, les Druzes, dans leur mépris, affirmaient même que les chrétiens sont, après leur mort, changés en pourceaux et en singes. — On sera moins sévère en Europe pour les sectateurs de Hakem. Bien qu’il soit radicalement absurde, le culte du khalyfe a joué un assez grand rôle dans l’histoire de l’Asie occidentale, pour mériter une très notable place. Sans doute, Hakem n’a pas été un puissant législateur comme Zoroastre, un moraliste éminent comme Confucius ; il n’a pas eu une grande destinée de conquérant et de fon-