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que son protecteur, naguère si confiant, s’est lui-même laissé intimider, s’éloigne avec désespoir, s’écriant qu’elle va se jeter aux pieds du roi.


Don Tello. — À la bonne heure ! pour moi, j’ai toujours pensé que quand on ne se laissait pas effrayer par le titre pompeux des rois, leur épée n’avait rien de bien redoutable.

Le Roi. — On dit pourtant que don Pedro est vaillant.

Don Tello. — Parce qu’il a tué un prêtre et un chanteur.

Le Roi. — C’étaient des hommes comme d’autres.

Don Tello. — Mais non pas des ricos hombres. Brave Aguilera, si vous voulez passer la nuit à Alcala, vous resterez dans ma maison ; toutefois c’est à une condition.

Le Roi. — Quelle est-elle ?

Don Tello. — Je ne reçois personne à ma table.

Le Roi. — Cela ne m’eût pas empêché d’accepter votre hospitalité, si je n’avais hâte d’arriver à Madrid.

Don Tello. — Adieu donc : n’oubliez pas de me voir à votre retour, vous serez le bien venu.


Il est, je le pense, inutile d’insister sur le caractère éminemment dramatique de cette scène, qui fait si admirablement ressortir le caractère des deux principaux personnages. La fougue contenue de don Pedro, l’insolence de don Tello presque bienveillant, presque poli à force de dédain, forment un contraste d’un puissant effet. On frémit d’avance de l’orage qui se prépare.

Le roi, arrivé à Madrid, s’entretient avec son favori, don Gutierre, des troubles du royaume, des désordres que ses trois frères ne cessent d’y susciter, de la nécessité d’extirper ces germes sans cesse renaissans de sédition. Cependant il laisse voir quelque disposition à pardonner encore une fois au comte de Trastamare, qui vient de lui écrire pour implorer sa clémence, et dont la ville de Tolède, qu’il est bon de ménager, sollicite aussi la grace. Au milieu de ces graves préoccupations, la pensée du roi se reporte sans cesse sur ce qu’il a vu la veille à Alcala. Sa colère, son étonnement sont toujours les mêmes. Il a fait appeler don Tello. En attendant son arrivée, il donne audience à ceux qui viennent implorer sa justice. Ceci rappelle un passage du Médecin de son honneur, de Calderon.

Un capitaine se présente. Il expose à don Pèdre que vingt années de combats contre les Maures l’ont laissé aussi pauvre qu’il l’était en commençant sa carrière ; il demande qu’on lui donne des moyens d’existence pour le peu de temps qui lui reste encore à vivre. Le roi lui répond sèchement qu’il y pensera. Au vieux soldat, qui exprime assez brusquement son mécontentement d’un tel accueil, succède un solliciteur d’une autre nature.

Le Solliciteur. — Sire, je suis le fils d’André, contrôleur de votre maison. Votre altesse, satisfaite des services de mon père, a bien voulu