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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/777

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MORETO.

Le Roi. — Ne me connaissez-vous pas ?

Don Tello. — Non.

Le Roi. — Vous avouez donc que c’est ma seule personne et non pas le rang que je puis avoir qui a triomphé de votre orgueil ?


En ce moment, le valet de don Tello que don Pèdre, pour éloigner un témoin incommode, avait envoyé chercher de la lumière, accourt un flambeau à la main. En reconnaissant le roi : — Dieu ! dit-il, qu’est-ce que je vois ?


Le Roi. — Le rico hombre d’Alcala aux pieds du roi don Pèdre.

Don Tello. — C’est vous, Sire ?

Le Roi. — Oui, don Tello, vos vœux sont accomplis, vous m’avez rencontré corps à corps. Votre orgueil a pu se convaincre que vous aviez tort de dédaigner ce prêtre et ce chanteur que j’ai tués, et qui peut-être avaient mieux combattu que vous. Vous savez que comme chevalier je puis faire avec mon épée ce que comme roi je fais par le respect qui s’attache à ma dignité.

Don Tello. — Je l’avoue.

Le Roi. — Maintenant que je vous ai vaincu par mon courage, après vous avoir vaincu dans votre maison par ma modestie, et dans mon palais par ma justice, partez, vous êtes libre, sortez de mes états sans perdre un instant ; car si vous y êtes repris, votre mort est certaine… Ici, où pour vous combattre j’ai déposé ma majesté, je puis vous pardonner ; mais lorsque j’aurai repris mon caractère de roi, de défenseur de la loi, cela me serait impossible… Vous trouverez près d’ici un homme qui vous attend avec des chevaux et de l’argent. Partez.


Le rico hombre part en effet pour l’exil. Le roi se hâte de regagner son palais avant que le jour paraisse. Moreto a placé ici une de ces scènes bizarres dans lesquelles les poètes aiment à faire figurer le roi don Pèdre. Déjà, dans une scène précédente, il nous l’a montré obsédé par de fantastiques apparitions qui font retentir à ses oreilles des paroles mystérieuses. Au moment où il passe auprès d’une chapelle dédiée à saint Dominique, un fantôme se présente à ses yeux.


Le Roi. — Ombre ou démon, que me veux-tu ? Pourquoi me poursuivre ainsi ?

Le Fantôme. — Approche si tu désires le savoir. Nous pouvons nous asseoir sur la margelle de ce puits, près de ce sanctuaire humble autant que vénérable que saint Dominique, assisté du séraphique saint François, a élevé de ses glorieuses mains.

Le Roi. — Le jour arrive, je ne puis m’arrêter.

Le Fantôme. — Assieds-toi, ou je croirai que tu as peur.

Le Roi. — Pour toute réponse je resterai, me voilà assis, parle.

Le Fantôme. — Me connais-tu ?

Le Roi. — Je n’ai aucun souvenir de toi, et tu es si hideux, que je te prendrais volontiers pour un démon attaché à ma poursuite. (Il se lève.)