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Dans les remontrances que lui fait entendre un ami pour l’engager à modérer les manifestations par trop choquantes de sa vanité puérile, don Diégo ne voit que l’expression de l’envie qu’excite sa supériorité. Les paroles de mépris et de colère qu’arrache à sa fiancée l’imperturbable assurance avec laquelle il l’aborde, comme si, dès la première vue, elle ne pouvait manquer de lui donner son cœur, lui paraissent l’explosion d’une jalousie passionnée. Tout ce qui devrait l’éclairer contribue ainsi à accroître son aveuglement. Cette donnée est aussi comique que profondément vraie.

Le Beau don Diégo est un des premiers modèles de ce que les Espagnols appellent la comédie de figuron, ce qui signifie un caractère ridicule, une espèce de caricature, genre de composition à peu près inconnu à Calderon et à Lope, mais que plus tard d’autres poètes ont traité avec assez de succès.

Le plus gai, le plus animé, le plus vivement intrigué des drames de Moreto, c’est peut-être celui qui porte ce singulier titre : En avant la Ruse (Trampa Adelante). Un jeune gentilhomme sans fortune, don Juan de Lara, a inspiré à une riche veuve une passion violente, à laquelle il ne peut répondre, parce qu’il aime lui-même une autre personne. Son valet imagine de profiter de cette circonstance pour tirer son maître de la détresse où l’a jeté sa pauvreté. De peur de blesser sa délicatesse, il se garde bien de lui faire part du projet qu’il a conçu ; mais, par une suite d’artifices très adroitement combinés, il parvient à persuader à la veuve qu’elle est payée de retour. Mettant à contribution sa généreuse gratitude, il se trouve bientôt en état de faire régner dans la maison de don Juan l’abondance et même le luxe. Ce dernier s’en étonne un peu d’abord ; puis il se laisse persuader que c’est à la facilité des usuriers et des marchands qu’il doit ces ressources inattendues. Tout va bien ; mais le moindre hasard peut renverser l’édifice si ingénieusement élevé par le gracioso. Il faut même, pour qu’il ne s’écroule pas à l’instant, empêcher à tout prix que don Juan et la veuve ne viennent à se rencontrer ; il faut inventer des prétextes spécieux pour expliquer à la veuve les retards apportés à une entrevue qu’elle désire si ardemment ; il faut calmer ou détourner les soupçons de la véritable maîtresse de don Juan ; il faut lui dérober à lui-même les indices qui lui révèleraient la déception dont il est involontairement le complice. Tout cela donne lieu à une suite de scènes charmantes, où la vivacité, l’enjouement, l’esprit fin, élégant et naturel tout à la fois de Moreto, brillent d’un éclat incomparable. Je connais peu de drames qu’on lise d’un bout à l’autre avec plus de plaisir. Il est inutile de dire que cet imbroglio finit par se dénouer à la satisfaction de tous les personnages, que, conformément aux lois du théâtre espagnol, il se trouve pour consoler l’amante dédaignée par le héros un amant repoussé par l’héroïne, et que chacun se retire content.

C’est encore une très jolie pièce d’intrigue que la Chose impossible. Moreto en a emprunté le sujet et les idées principales à la plus grande Impossibilité de Lope de Vega, et, suivant son usage, il a de beaucoup surpassé son modèle. Le début rappelle celui d’une autre comédie de ce même Lope, la Moza de Cantaro. Quelques personnes d’esprit sont réunies chez une femme de qualité