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n’ont eu que bien rarement l’occasion de la faire ; je veux parler d’une visite au grand séraï. L’usage est d’accorder aux ambassadeurs nouvellement accrédités auprès de la Sublime-Porte le droit de voir les principales mosquées. M. le ministre de Belgique obtint pendant mon séjour un firman à cet effet, et en outre la faveur de pénétrer dans l’antique demeure des sultans. M. le baron O’Sullivan eut l’obligeance de prévenir les étrangers qu’ils pouvaient se joindre à son cortége ; heureux de saisir cette occasion de parcourir en détail des lieux que l’ombrageuse susceptibilité musulmane rend d’un accès si difficile, je me trouvai à l’heure convenue à l’échelle du séraï.

Au moment où l’ambassadeur descendit de son caïque pavoisé, une porte de bronze, surmontée d’un soleil d’or, s’ouvrit devant nous, et nous entrâmes dans une cour longue et étroite dont le fond est occupé par un palais d’une architecture assez lourde. Un péristyle soutenu par des colonnes d’ordres divers arrachées aux temples païens, et un escalier de marbre d’une remarquable élégance, conduisent à la première salle. Cette pièce, la plus belle du séraï, est circulaire et percée d’un grand nombre de croisées dont les embrasures sont remplies par de magnifiques glaces de Venise. Des fresques médiocres, où figurent des amours bouffis dignes de Boucher, surchargent les murs et le plafond. Un divan de soie, en forme de fer à cheval, où prend place le sultan, et quelques chaises de crin composent tout l’ameublement. Les autres chambres, fort nombreuses, sont en général petites et assez obscures ; devant toutes les fenêtres règne un treillage serré. Des panneaux ciselés et dorés, des ornemens répandus à profusion, mais sans goût, sur les portes et les boiseries, font de ces appartemens un assez mauvais pastiche du style Louis XV ; les cheminées seules sont d’un travail parfait. La salle de bains est charmante. Un marbre éblouissant comme la neige recouvre les murailles et le parquet ; la voûte est un damier de cristal brut qui laisse tomber un jour mystérieux et voilé sur une large cuve ornée de bas-reliefs admirables. Mahmoud n’habitait plus le grand séraï, qui lui retraçait sans cesse les plus tristes époques de sa vie passée ; aussi nous fut-il permis de pénétrer dans le harem. Ce célèbre et vaste appartement des femmes est formé de cinquante chambres environ, donnant toutes sur un long corridor sombre. Où sont les tapis de Smyrne, les somptueux divans, les magnifiques tentures de Perse ? Dans les Mille et une Nuits. Rien n’est triste comme la prison de ces malheureuses, livrées ordinairement par leurs mères aux caprices fantasques d’un homme. Quelques vieux eunuques se promenaient