Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/862

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
854
REVUE DES DEUX MONDES.

SAMUEL, ramenant Julie à son fauteuil, où elle tombe accablée.

Maintenant, ma colombe, calmez-vous ; il ne sera fait aucun mal à votre bon petit cousin. Je n’exigerai même pas qu’il paie ses dettes. Je lui fais grace. Je suis généreux, moi, quand c’est mon intérêt. Mais voyez-vous, il faut qu’il parte aujourd’hui, tout de suite, et pour tout de bon.

JULIE.

Il partira, monsieur, mais je suis bien aise de vous dire que c’est la première et la dernière de vos volontés que je subirai.

SAMUEL.

Vous vous abusez, mon enfant, vous les subirez toutes ; et pour commencer, ouvrez cette porte. (Julie se lève indignée, et le toise avec hauteur.) Si vous n’ouvrez pas cette porte, j’ouvrirai cette fenêtre, et je jetterai cette clé à mes laquais, qui sont au bas du petit escalier, afin qu’ils entrent, et qu’ils se saisissent du chevalier dans la chambre de votre mère. (Julie, terrassée, va ouvrir la porte à sa mère. Samuel la suit, et la tient fascinée sous son regard. — La marquise, entrant, les regarde tour à tour d’abord avec effroi, puis avec surprise, et finit par éclater de rire.)

JULIE, se cachant le visage.

Ô ma mère ! ne riez pas.

LA MARQUISE, riant toujours.

Eh bien ! eh bien ! ma pauvre enfant… Il n’y a pas de mal à cela !…

(Elle rit encore.)
SAMUEL.

N’est-ce pas que c’est drôle ? Et le chevalier ?…

(Il rit aux éclats.)
LA MARQUISE, reprenant son sérieux.

Comment !… le chevalier ?… (Elle regarde Samuel attentivement ; puis elle part encore d’un grand éclat de rire.) Eh bien ! le tour est parfait ! (Elle tend la main à Samuel.) Mon gendre, je vous rends mon estime !

JULIE.

Ah ! c’est odieux ! (Elle pâlit et chancelle.)

SAMUEL, bas en la soutenant.

Je n’entends pas que vous vous évanouissiez, entendez-vous bien ? (Haut.) Ma chère marquise, je ne suis pas si mal élevé que vous pensiez. Je ne veux pas enfoncer le poignard dans le cœur de ce pauvre chevalier au moment de son départ… Il est amoureux de sa cousine !… Ce n’est pas à moi de m’en étonner ; mais Julie vient de m’ôter, par une sincère explication et d’aimables promesses, tout sujet de jalousie, et je désire qu’elle lui fasse ses adieux ici, tout de suite, sans mystère et de bonne amitié… Appelez-le, je vous prie.

LA MARQUISE.

Le voulez-vous, Julie ?

JULIE hésite, rencontre le regard de Samuel, et dit en s’efforçant de sourire :

Je vous en prie, maman. (La marquise sort.)