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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/88

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sance. Les organes de l’opinion la plus avancée voient déjà, grace au régime constitutionnel, les arts, l’industrie et l’agriculture fleurir à l’envi sous le beau ciel du Levant. Des feuilles plus modérées, sur un ton moins pastoral, il est vrai, mais aussi singulier, établissent un rapprochement burlesque entre la Turquie de 1840 et la France de 1789, oubliant que dans le premier de ces pays il n’y a ni aristocratie, ni bourgeoisie, mais une nation tout entière courbée sous le niveau de la misère et de l’ignorance. J’ai exposé brièvement la triste situation des Turcs ; pour preuve de la fidélité du tableau, je renvoie simplement le lecteur au hatti-schériff du 3 novembre. En présence de pareils faits, si disposé qu’on soit à former des vœux ardens pour l’amélioration prochaine des affaires de la Turquie, l’espérance devient presque impossible. Examinons rapidement la charte d’Abdul-Medjid et jugeons les conséquences probables de ses principales dispositions. Ce monument législatif se compose de deux parties distinctes : la première est un préambule en deux paragraphes où le gouvernement turc, avec une franchise poussée jusqu’à l’humilité, confesse et son impéritie et les maux qu’elle a causés, c’est-à-dire une administration sans force et un appauvrissement général. La seconde partie annonce des réformes et promet un nouveau système financier, un mode plus régulier de recrutement, des garanties capables d’assurer aux sujets ottomans une parfaite sécurité quant à leur vie, leur honneur et leurs biens ; en un mot, une révolution sociale complète. Que cette œuvre soit nécessaire en Turquie, ce n’est une question pour personne ; mais on peut douter qu’il soit prudent de la vouloir accomplir, pour ainsi dire en bloc, et par des moyens si peu appropriés à l’Orient. Lorsque du sein d’un peuple industrieux les siècles ont fait surgir d’immenses fortunes, de grands talens et de légitimes ambitions, un gouvernement qui se sent près de crouler sous ses décombres, peut faire un appel à la nation tout entière, et s’il est enlevé dans la tourmente, le pays, après des secousses plus ou moins longues et douloureuses, n’en reprendra pas moins son équilibre. Or, en Turquie, quels seront les soutiens de l’ordre ? Les rayas ? mais ils sont travaillés en tous sens par les influences étrangères. Les Turcs ? ils avaient des priviléges, et le hatti-schériff les leur enlève. — Les tentatives de Mahmoud avaient échoué, mais elles avaient eu du moins pour résultat de familiariser les musulmans avec certaines idées de réforme ; l’immobilité n’était plus la loi suprême, et il n’eût pas été aussi difficile, disons mieux, aussi impossible au nouveau sultan qu’à son prédécesseur d’intro-