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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/896

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sur elle une immense responsabilité morale. Que veut-on ? Prouver à la France que le gouvernement représentatif est incompatible avec notre ordre social ? Non : la France sait que ce gouvernement est possible, facile même, pourvu que les hommes ne se laissent pas entièrement asservir par leurs petites passions, et qu’ils ne ferment pas complaisamment les yeux sur l’intérêt général.

Ces réflexions, sévères peut-être, mais justes, s’offrent naturellement à l’esprit de tout homme impartial. Il est impossible que le pays ne s’en pénètre pas, qu’il n’y puise pas des règles pour apprécier les hommes et les choses.

Nous n’avons certes ni désiré ni approuvé la chute du 15 avril ; quant au 12 mai, ce que nous désirions, c’était une réforme du cabinet qui lui donnât plus de force et un meilleur agencement de ses parties. Au lieu de se réformer, il s’est laissé surprendre et étrangler silencieusement sur une question délicate, fâcheuse, qu’il ne fallait pas soulever, ou qu’il fallait défendre vivement, noblement, de haut. Paix aux morts. Le 12 mai réformé pouvait rendre de grands services au pays ; sa chute est un malheur. Mais sur qui doit en peser la responsabilité ? Nous l’avons déjà dit, et c’est un fait qui n’est point contesté : il y a eu des muets dans tous les camps.

Ce sont donc, il faut bien le reconnaître, les conservateurs, les hommes monarchiques par excellence, les 221, nos amis, qui ont renversé le 12 mai, et qui l’ont renversé en refusant une dot à un prince français. Le ministère qui présentait la loi, sur quels suffrages devait-il compter ? Sur les voix de la gauche, des légitimistes, des républicains ? Nul ne le dira. Sur les amis de M. Thiers ? de l’homme avec qui le 12 mai était en guerre ouverte par la rupture du centre gauche en deux fractions opposées ? Il eût été peu raisonnable d’y compter. C’était essentiellement sur les voix des centres que comptait, que devait compter le ministère ; ces voix, avec celles des amis de MM. Dufaure et Passy, de la plupart des doctrinaires et de quelques amis de M. Thiers, lui donnaient la majorité.

On n’est jamais renversé par les voix sur lesquelles on ne compte pas. Un ministère établi ne perd ses batailles que par la défection. Le 12 mai a trouvé dans ses rangs des Saxons. Seulement, au lieu de faire tonner leur artillerie, ils lui ont porté un coup fourré. Ils ont tué le 12 mai, mais par cela même ils ont donné naissance au cabinet de M. Thiers. Le 12 mai, en se maintenant et en se fortifiant, pouvait seul fermer au centre gauche les avenues du pouvoir. La lutte était difficile, elle n’était pas même sans quelque danger ; mais le succès était possible, probable même, du moins pendant toute cette législature. La force était dans l’alliance des 221 avec une partie du centre gauche et les doctrinaires ; mais le scrutin a prouvé que l’alliance était loin d’être sincère ; il n’y avait pas de pensée, de direction commune. Les 221 toléraient le 12 mai ; et le toléraient avec impatience et dédain. L’union apparente n’était en réalité qu’un mensonge, une comédie ; faute énorme des 221, que d’avoir écouté leurs préjugés, leurs antipathies, leurs passions, au lieu de cimenter leur union avec les doctrinaires et les amis de MM. Dufaure et