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dangereuse, imprudente, mais sans en encourir la responsabilité morale. On veut pouvoir dire : La faute en est à M. Thiers, qui n’a pas suivi nos conseils.

Quels conseils ! Refuse-t-il les déclarations qu’on se propose de lui demander, cherche-t-il à éluder les difficultés, à glisser entre les écueils : on criera à l’homme de la gauche, à l’envahissement de la gauche, au triomphe de la gauche ; et réveillant chez les doctrinaires les souvenirs des uns, les passions des autres, on parviendra à former une majorité telle quelle contre le ministère. M. Thiers se prête-t-il aux désirs des centres : brouillé avec ses amis, on l’acceptera peut-être un moment avec défiance, en vainqueurs ; à l’aide des doctrinaires, on lui prêtera pendant quelque temps une majorité dédaigneuse, on l’abandonnera ensuite avec éclat.

De deux choses l’une : veut-on amener demain une nouvelle crise ministérielle ? Rien n’est plus facile. Que le cabinet du 12 mai tende la main à la réunion Jacqueminot, et le ministère est renversé, pour peu que MM. Dufaure, Passy et Duchâtel puissent mener à l’assaut un certain nombre de leurs amis.

S’alarme-t-on, au contraire, de ces crises réitérées et du désordre qu’elles mettent dans tous les rouages de l’administration publique ? Il n’est qu’un moyen sûr et honorable de les éviter. C’est de ne pas faire de la tribune un confessionnal. Qu’importent à la France les opinions intimes, les tendances instinctives de tel ou tel homme ? Ce qui lui importe, ce sont les actes ministériels, ce sont les faits du gouvernement. M. Thiers abandonnerait-il par ses actes les saines traditions du pouvoir, chercherait-il à affaiblir les garanties données à nos institutions et à l’ordre publie ? Qu’on n’hésite pas alors à lui refuser tout concours ; nous applaudirons les premiers. Jusque-là toute tentative de renversement, tout moyen imaginé pour l’embarrasser et le faire tomber n’est qu’une témérité, et peut-être une folie.

Deux partis paraissent s’être donné le mot pour faire de M. Thiers un homme exclusif, passionné, extrême. Le bon sens nous dit que M. Thiers ne se prêtera à aucune de ces impérieuses alternatives. Il laissera dire, il laissera faire, convaincu qu’au moment décisif tous les amis de l’ordre reculeront devant les conséquences d’un vote imprudent, et qu’en tout cas mieux vaut tomber en conservant son bon sens et toute sa valeur personnelle, que de se rabaisser en se mettant à la suite d’une opinion exagérée, quelle qu’elle soit. Nous parlons d’exagération, parce que la polémique de nos jours rappelle malheureusement, par son acrimonie, ses violences et ses injustices, ces époques fatales où il n’y avait plus d’asile nulle part pour la modération et le bon sens. Spectacle d’autant plus affligeant que s’il y a du calcul partout, il n’y a, au fond, nulle part une passion vraie, une conviction profonde. Que resterait-il de toutes ces luttes si les intérêts personnels et les vanités ne se mêlaient pas au débat ? Et cependant ces luttes, qu’aucune pensée élevée n’anime et dont l’intérêt général n’est que le prétexte, ces luttes ont déjà coûté fort cher au pays, et probablement lui coûteront encore davantage.

En effet, supposons que les espérances des adversaires de M. Thiers se