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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ne pas chicaner en détail une si noble nature. Ce qui est moins à nier que jamais en lui, c’est la masse immense du talent : seulement cette masse entière s’est déplacée. Elle était à la poésie, elle roule désormais à la politique ; il est orateur. Son Océan regagne en Amérique ce qu’il a perdu dans nos landes. À nous habitans des bords que ce retrait désole, il nous est naturel de nous plaindre, de crier à la dissipation et à la ruine, tout en sachant qu’ailleurs on applaudit. Et à lui-même il lui importe assez peu maintenant de perdre la bataille là où il n’est plus tout entier. Il a transféré son siége d’empire de Rome à Byzance.

Pour M. Hugo, il récidive, et avec éclat assurément ; mais voilà tout. De trop ingénieuses, de trop brillantes et à la fois bienveillantes critiques ont accueilli son récent volume pour que nous nous permettions d’y toucher en ce moment ; mais il ne dément en rien notre idée : persistance puissante, veine élargie ou plutôt grossie, et sans renouvellement.

Cependant la foule des survenans conquiert, possède de plus en plus le matériel et les formes de l’art. Le voile rajeuni de la muse est désormais dans presque toutes les mains ; on se l’arrache ; mais la muse elle-même, l’ame de cette muse ne s’est-elle pas déjà envolée plus loin sur quelque colline où elle attend ? Au reste, ce que les recueils qui se publient sans relâche (quatre ou cinq peut-être chaque mois), contiennent d’agréables vers, de jets brillans, de broderies heureuses, est incalculable : autant vaudrait rechercher ce qui se joue chaque soir de gracieux et de charmant sur tous les pianos de Paris. Ce qu’il y a de vrais talens et d’avenirs cachés dans ces premières fleurs se dégagera avec le temps. Mais, si l’on voulait être juste pour tous et en toucher un mot seulement, on passerait sa vie à déguster des primevères et des roses. Évidemment la critique n’a plus rien à faire dans une telle quantité de débuts, et c’est au talent énergique et vrai à se déclarer lui-même. Il n’en était pas ainsi il y a quinze ou vingt ans ; des vers bien inférieurs, comme facture, à ceux qu’on prodigue désormais, décelaient plus sûrement les poètes. Nous en rappellerons trois aujourd’hui, et tous les trois qui rentrent plus ou moins dans les premiers tons de Lamartine. L’un a été de peu son devancier ; deux sont morts ; le troisième est un étranger du Nord qui a chanté dans notre langue avec élégance. Nous parlerons de Charles Loyson, d’Aimé de Loy, de Jean Polonius.

Charles Loyson, né en 1791, à Château-Gontier, dans la Mayenne, fit ses études avec distinction au collége de Beaupréau. Il entra à