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SALON DE 1840.

littéralement d’un bout à l’autre ce qu’il a fait avec son ébauchoir. Habitué dès long-temps à tailler le marbre il participe personnellement au travail du praticien ; cette habitude constante lui donne une grande supériorité sur la plupart des sculpteurs d’aujourd’hui. Quelle que soit la précision des moyens employés par le praticien pour la reproduction des modèles, il est probable que la panse de ce vase funéraire n’offrirait pas la souplesse que nous admirons, si M. Pradier ne maniait pas le ciseau aussi facilement que l’ébauchoir ; les ornemens bien choisis ont l’avantage de ne pas distraire l’attention. Quant aux deux figures agenouillées qui forment les anses du vase, je ne saurais les approuver, car elles ne sont pas traitées dans le même style que les bas-reliefs de la panse. Le motif de ces deux anses est plein de grace et de simplicité ; mais, pour s’accorder avec les bas-reliefs, il aurait dû être traité dans le style de la renaissance : or, la draperie de ces deux anges se rattache évidemment à l’art gothique. Le style des deux anses contredit donc formellement le style des bas-reliefs ; comment M. Pradier est-il arrivé à commettre une faute si facile à découvrir ? Comment n’a-t-il pas compris qu’il devait choisir dans l’art chrétien le moment qui se rattache à l’art païen par l’élégance des formes et la souplesse des draperies ? Je pose la question et ne me charge pas de la résoudre. Traités dans le style de la renaissance les deux anges se fussent parfaitement accordés avec les deux bas-reliefs ; tels qu’ils sont, ils semblent raides et à peine ébauchés. Il est fâcheux qu’un artiste aussi habile que M. Pradier se préoccupe à peu près exclusivement de l’exécution, et combine avec tant de légèreté les diverses parties de ses ouvrages, car cette inconcevable étourderie, sans diminuer le talent incontestable de l’auteur, nuit singulièrement à l’effet de ses œuvres. Le mérite du vase dont nous parlons ne peut être mis en question ; l’élégance générale de la forme, le mouvement des figures, le choix des ornemens, le motif ingénieux des anses, tout se réunit pour charmer les yeux et plaire à la pensée ; mais la différence des styles frappera ceux même qui ne sont pas familiarisés avec l’histoire de la statuaire. Sans connaître la raison de leur déplaisir, les personnes étrangères aux transformations des arts du dessin seront choquées de la contradiction qui existe entre les anses et les bas-reliefs. Puisque M. Pradier fait du marbre tout ce qu’il veut, qu’il prenne donc le temps de vouloir avant d’agir ; qu’il délibère avant de composer. Sûr de sa main, qu’il ne recule pas devant les ratures lorsqu’il s’est trompé. Convaincu de l’importance et de l’utilité de la tradition, qu’il lui