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crépuscule de sang. — Ces imitations de l’éloquence d’Eschyle n’ont aucune convenance et aucune excuse dans un drame emprunté aux temps modernes. La grande beauté du style de Shakspeare consiste dans l’emploi facile et immense de toutes les teintes, selon le besoin et les variations du drame : personne n’est plus grandiose, plus élégiaque, plus riant, plus comique, plus vif, plus naïf, plus gracieux, plus solennel. Vingt claviers résonnent sous la main de ce puissant organiste. Alfieri n’a qu’un ton ; Shakspeare possède tous les tons. Quant à M. Horne, son style, rempli de fausse grandeur et de brillantes images, rappelle, non la souplesse vraiment dramatique de Shakspeare, mais Chapman’s mighty line, comme on disait au XVIe siècle, le vers majestueux de Chapmam. C’est Brébœuf ou même Pindare, l’éternel grondement de la passion ou de la métaphore ; le spectateur s’irrite de ce mensonge emphatique ; les sons qui frappent son oreille semblent traverser un porte-voix d’airain. La fusion de tous les accens et la reproduction harmonieuse de leur variété n’ont trouvé jusqu’à ce jour qu’un seul artiste assez hardi et assez souple pour les embrasser à la fois, Shakspeare. Il faut voir, dans Macbeth par exemple, l’élégie, née d’un vague pressentiment du malheur à venir, se développer en vers pleins de mélodieuse simplicité ; le monde des sorcières exhaler son dithyrambe infernal, et l’ame de la femme transformée en homme par l’ambition tonner comme la foudre dans un ciel obscur. Il faut voir, dans Roméo, la bavarde nourrice et la naïve enfant qui commence d’aimer, mêler leurs voix, comique et suave, aux solennelles méditations du moine catholique.

Le plan de Côme de Médicis est fort simple. Jean et Garcia, fils de Côme de Médicis, épris l’un et l’autre de la même personne, chassent ensemble le sanglier dans une forêt voisine de Florence. Tous deux prétendent à l’honneur d’avoir frappé de l’épieu l’animal qui s’est perdu dans les halliers.


Jean. — C’est moi !

Garcia. — C’est moi, vous dis-je !

Jean. — C’est mon épieu qui l’a percé.

Garcia. — Où est-il ? il nous échappe.

Jean. — Je le touchais, quand vous vous êtes élancé comme un aveugle frappant au hasard. Vous nous l’avez fait perdre, dans votre ardeur insensée !

Garcia. — La bête s’est sauvée par ici. Voici les branches d’arbres que ses défenses ont brisées, et les traces de son passage ; son écume blanche est encore sur ces feuillages, mais il n’est plus temps.

Jean. — Rien n’est plus désagréable que de se voir ainsi trompé. Je n’aime pas ces plaisirs sans but ; mais, quand je m’y livre, en devenir le jouet, c’est ce que je ne puis souffrir.