Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
REVUE. — CHRONIQUE.

d’excessif dans leurs prétentions. Les hommes de la droite comme ceux de la gauche ont dû se faire la même question, et, disons-le, ceux-ci encore plus que ceux-là, car les hommes de la droite gouvernaient ; ils réalisaient dans une certaine mesure leurs idées ; ils avaient maintenu la révolution pure de tout excès : les hommes de la gauche, au contraire, relégués dans les utopies de la politique, au lieu de gouverner, ne songeaient qu’à suspendre l’action du pouvoir, et n’obtenaient d’autre résultat de leurs efforts que les vains honneurs d’une opposition tracassière et stérile.

De ce retour des esprits à leur état régulier, qu’aurait-il dû résulter ? Un rapprochement, une conciliation, une transaction, si l’on veut, bien que le mot ne soit pas le mot propre. Il ne s’agit pas de céder quelque chose les uns aux autres ; il s’agit de modifier de part et d’autre des idées par trop absolues, des prétentions par trop exclusives, et de mettre son cœur et sa tête en harmonie avec l’état réel du pays.

Mais dans les partis, ces retours et ces réconciliations sont plus lents et plus difficiles que ne le pensent quelques optimistes ; car aux jours de la lutte, avec les grandes et nobles passions politiques se sont développées les passions subalternes, comme ces plantes basses et vénéneuses qui se cachent sous l’éclat d’une magnifique végétation.

Il y a plus ; cette nouvelle situation, qui est la clôture de la révolution, cette nécessité de ne plus séparer les deux idées dominantes, l’ordre et la liberté, n’apparaît d’abord qu’aux esprits d’élite. Les chefs sont déjà modérés, pacifiques, prêts à s’entendre, que leurs armées sont encore furibondes. Alors de deux choses l’une : ou les chefs n’osent pas se séparer de leurs soldats, et au lieu de commander, ils obéissent, et c’est la queue qui mène la tête et chaque parti, précisément au moment où il devrait s’apaiser, devient plus ardent qu’il ne l’était : ou les chefs se détachent pour suivre les inspirations de leur conscience, et préparer le nouvel ordre de choses, et les retardataires de crier à la trahison, de les renier, de les accabler d’invectives et d’outrages.

Ce n’est là, malheureusement, qu’un résumé historique.

Soyons vrais et gardons jusqu’au bout notre sévère impartialité. La nécessité de ce nouvel ordre de choses, de cette majorité gouvernementale à former avec tous les hommes qui veulent sérieusement l’ordre et la liberté, fut déjà aperçue au 15 avril. L’amnistie en donna le signal. Mais pour des causes que nous ne pouvons développer ici, il fut bientôt évident que cette tentative, précoce peut-être, avait échoué. M. le comte Molé, forcé d’opter entre la droite et la gauche, opta pour la première, et certes, nous sommes loin de lui en faire un reproche

Cependant, qu’on le remarque, car c’est là le fond des choses, cette même pensée, qui paraissait avortée, enfanta bientôt la coalition. Sans doute on peut blâmer ce moyen ; la Revue ne l’a jamais approuvé. La coalition n’est pas moins un fait historique d’une grande portée. Elle a rendu impossible, ou, à mieux dire, révélé l’impossibilité de gouverner au moyen d’une seule fraction de la chambre. Après deux dissolutions, cette impossibilité devenant de plus