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tagne, et il adresse à leurs parens et à leurs amis une demande de fonds fort pressante que le prisonnier apostille. Si les parens et les amis sont trop long-temps à délier les cordons de la bourse, nouvelle missive à laquelle il joint une des oreilles du prisonnier. Si par hasard ceux-ci sont tout-à-fait récalcitrans, Meo Patacca envoie l’autre oreille que le nez ne tardera pas à suivre, car Meo Patacea a une volonté, il tient scrupuleusement sa parole, et ce qu’il a juré de faire, il le fait. Meo Patacca n’en est pas moins un excellent catholique. Il va à la messe et au salut le plus souvent qu’il peut, au risque même de se laisser prendre par les carabiniers, qui du reste ont pour lui beaucoup de respect. Il porte sur la poitrine la sainte croix avec ses mystiques inscriptions ; il croit fermement aux miracles, et il raconte en se signant que son grand-père faisait ferrer sa mule par saint Albo. Qu’était-ce donc que saint Albo ? Un maréchal-ferrant d’une grande piété et qui avait reçu le don des miracles. Lorsqu’on lui amenait un cheval, il lui ôtait tout simplement le pied, le portait à sa forge, y clouait un fer, et puis le rajustait à la jambe au moyen d’une prière et d’un signe de croix.

Quelle que soit la vivacité de son esprit et la singularité de son caractère, Meo Patacca est plutôt un héros épique qu’un héros dramatique. Il a cependant adopté le théâtre de Palla corda ; c’est là qu’il figure dans une foule de petits drames à coups de bâton. On a remarqué néanmoins qu’il n’était plus si méchant homme qu’autrefois, et que, par instans, et grace peut-être aux inspirations de la censure, il avait des retours à la vertu. Il ne fait plus le mal pour le plaisir de le faire, et s’il assomme encore le prochain, c’est à son corps défendant. Nous le retrouvons, par exemple, dans l’une des synagogues du Ghetto, empruntant l’argent des juifs, au lieu de le prendre de force, comme jadis. Il est vrai que le bravo a changé de costume, de caractère et d’état. Au lieu du fungo, de la veste et de la culotte de velours à double rang de boutons argentés, il a revêtu de méchantes guenilles, et tient, par son costume bigarré, le milieu entre Briguelo et Polichinelle. Il a aussi beaucoup perdu de son altière prepotenza ; la preuve, c’est qu’au lien de prendre il emprunte, et qu’au lieu de commander il supplie. Les juifs qui l’ont reconnu et qui lui gardent rancune lui prêtent quatre écus à condition qu’il en rendra douze. Meo Patacca consent à tout, résolu qu’il est à ne rien rendre du tout ; mais les juifs, qui connaissent leur homme, exigent encore une petite formalité avant de lui compter son capital : c’est qu’il se fasse juif. Meo Patacca, qui a grand besoin des quatre écus, consent encore ; alors les