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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

se relève aussitôt, et la peur lui rendant toute son agilité, il grimpe au haut de l’arbre, aussi lestement que pourrait le faire un habitué du mât de cocagne, et se cache dans le feuillage. Les brigands ne tardent pas à paraître. Barbone les commande. Barbone est, je crois, le dernier chef de bande qui ait fait trembler les Romains. Ses soldats sont armés jusqu’aux dents, et profèrent de terribles menaces contre le misérable qui les fait courir depuis si long-temps. S’ils l’attrapent, ils se proposent de lui faire souffrir mille tortures ; ils le crucifieront, le feront rôtir à petit feu. Cassandrino se fait le plus petit qu’il peut ; que n’a-t-il les ailes des oiseaux qui voltigent autour de lui ! Il consentirait dans ce moment à troquer sa coquette enveloppe contre celle d’un corbeau ou d’un hibou ; il consentirait à tout pour ne plus être Cassandrino.

Les voleurs, après avoir fouillé toutes les ornières, toutes les touffes de genêts, commencent à croire que le drôle leur a échappé et font mine de vouloir se retirer, quand tout à coup le malheureux, qui pour se distraire a eu la fatale idée de humer une prise de tabac, éternue d’une façon bruyante. Les voleurs lèvent les yeux et aperçoivent notre homme blotti sur sa branche comme un écureuil. Vingt carabines sont aussitôt braquées de son côté. Il faut voir l’agilité surprenante de Cassandrino grimpant de branche en branche et entendre ses supplications, ses invocations et ses attendrissantes apostrophes quand il se trouve le point de mire de ces coquins. Il finit par descendre ou plutôt par se laisser tomber de l’arbre, car ses forces l’abandonnent. Les brigands l’ont dépouillé en un clin d’œil. L’un d’eux s’empare de son bel habit rouge, un autre prend sa tabatière d’or, un autre son foulard anglais, et si on lui laisse sa culotte et sa chemise, c’est que le théâtre Fiano est astreint à respecter certaines convenances morales que la parfaite nudité du héros pourrait contrarier. La perruque même du voyageur excite la convoitise d’un coquin sur le retour ; il s’en empare, et la tête de Cassandrino décoiffée brille au soleil comme une vessie soufflée ; les brigands, que la tabatière a mis en belle humeur, plaisantent leur captif et l’appellent coccuzzolo, la citrouille ; des Parisiens auraient dit la coloquinte. — Si nous lui coupions les deux oreilles, la ressemblance serait plus parfaite encore, dit l’un des brigands. — Un moment, s’écrie Barbone, sachons auparavant si ses oreilles ne peuvent être bonnes à quelque chose. — Es-tu riche ? demande le brigand à Cassandrino. — Non, excellence, je ne suis qu’un pauvre homme. — Mais pour un pauvre homme tu avais là un bien bel habit rouge ? — C’est mon