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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

que les poètes nous apparaissent complètement renfermés, comme aujourd’hui, dans le domaine de la poésie. Alors seulement Aristote put parler de l’art du metteur en scène, comme d’une profession distincte et indépendante de celle du poète[1].

De toutes ces diverses fonctions, la plus importante, sans contredit, et la plus constamment remplie par le poète, fut celle de didascale[2] ou d’instituteur des choreutes et des comédiens. C’est elle que nous allons étudier, en tâchant de faire bien connaître en quoi consistait ce double enseignement de la pièce et des chœurs.

INSTRUCTION DES CHŒURS.

Si je distingue l’enseignement donné aux choreutes de celui que recevaient les comédiens, c’est qu’en effet, pendant les beaux temps du théâtre, ces deux sortes d’instruction furent absolument séparées. La réunion ne s’opéra qu’après les désastres de la guerre du Péloponnèse, quand les fonctions de choreute, abandonnées par les citoyens qui les avaient remplies jusque-là, passèrent à des acteurs de profession. Je n’ai pas besoin d’ajouter que cette distinction fut constamment inconnue à Rome, où jamais les citoyens ne prirent part aux chœurs scéniques.

C’était, pour l’ordinaire, dans sa propre maison que le poète enseignait les choreutes. Une scène des Thesmophories d’Aristophane nous montre le jeune poète tragique Agathon exerçant chez lui, au son de la lyre, un chœur de jeunes filles qui devait figurer dans une de ses pièces. Plus tard, nous voyons le chorège, au défaut du poète, disposer dans sa maison, pour l’instruction des chœurs, une salle qu’on appelait διδασκαλεῖον[3]. Quel que fût, d’ailleurs, le lieu où l’on commençât ces exercices, on les terminait au théâtre, dans une pièce des parascenia ou du postscenium appelée χοραγεῖον[4].

L’usage et les lois défendaient expressément à toute personne étrangère au chœur d’entrer dans ces lieux de préparation et d’études[5]. La violation de cette règle de bienséance fut l’occasion du proverbe : Mettre le pied dans la danse d’autrui[6], pour exprimer la plus haute indiscrétion qu’il fût possible de commettre. Une autre loi, rendue dans l’intérêt de la discipline et des mœurs, ordonnait de ne

  1. Aristot., Poetic., cap. VI, § 28.
  2. Aristoph., Plut., v. 797. — Av., v. 915.
  3. Antiph., Orat., XVI, pag. 768, Reisk.
  4. Epicharm., ap. Poll., lib. IX, § 42.
  5. Eschin., in Timarch., pag. 37, seq. Reisk.
  6. Plutarch., Sympos., lib. V, quæst. I, pag. 673, D.