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un peu rouge ? Eh bien ! leur vivacité, on l’exagère ; leur modération, on la tourne en ridicule ; leur sagesse politique, on s’en irrite. Ce qu’on voudrait, ce sont les emportemens de la gauche, ses colères, ses imprudences, ses folles prétentions ; en un mot, la gauche de 1832, de 1834. Aussi a-t-on soin de ne lui épargner aucun genre de provocation. On lui jette à pleines mains le dédain, l’ironie ; on lui fait un point d’honneur de tout son passé ; on lui représente les voies de la conciliation, de la transaction, comme si elles étaient pour elle les fourches caudines ; si elle passe sous le joug de la sagesse politique, elle est déshonorée. La gauche doit être exigeante, violente, absolue. — Oh ! si la gauche avait la bonté grande de céder à ces provocations, si elle voulait bien s’emporter, prouver au monde qu’elle n’est pas un parti gouvernemental, qu’elle ne saurait le devenir, que ses promesses sont vaines, que nul homme sensé ne peut compter sur elle, sur son appui, sur ses résolutions, c’est alors que ses adversaires grossiraient la voix, qu’ils parleraient des dangers de l’ordre public, qu’ils se glorifieraient de leurs craintes, qu’ils se targueraient de leurs prévisions ; c’est alors qu’ils espéreraient, et avec raison, de trouver dans les chambres le nombre de voix nécessaires pour renverser le cabinet. En effet, le jour où la gauche alarmerait les hommes sensés, impartiaux, un peu timides, qui votent aujourd’hui avec elle, ce jour-là l’administration du 1er mars tomberait devant une administration nouvelle ; ce jour-là une dissolution de la chambre au profit du centre droit, deviendrait une chose non-seulement possible, mais raisonnable ; ce jour-là la gauche aurait abdiqué pour long-temps toute influence dans les affaires du pays, car, s’il est vrai que la France aime le progrès sensé, mesuré, il n’est pas moins vrai qu’aujourd’hui elle aime avant tout l’ordre, la paix publique et sa prospérité matérielle. Les luttes politiques la fatiguent ; les expériences hasardées l’alarment. Prête à applaudir à l’honorable transaction que le ministère propose aux partis, elle garderait long-temps rancune à celui qui, par ses exigences et ses emportemens, aurait paralysé les efforts d’un cabinet habile et conciliateur.

Mais, nous nous plaisons à le répéter, jusqu’ici rien de semblable ne paraît à craindre. La gauche ne s’est donné ni ce tort ni ce ridicule ; elle a également échappé aux suggestions de quelques amis imprudens et aux piéges de ses adversaires.

Au surplus, le ministère est plus maître de la position qu’on ne le pense. Qu’il la garde avec une fermeté inébranlable, qu’il ait confiance en lui-même et dans la force des choses, qu’il laisse, sans s’émouvoir le moins du monde, les esprits incurables de tous les partis, dans les chambres, dans la presse, s’agiter, se tourmenter, l’attaquer, et toujours en pure perte, sans le faire avancer d’une ligne ni à gauche ni à droite ; qu’il proclame de plus en plus qu’immobile sur le terrain de son choix, il y accueillera tous ceux qui voudront venir à lui, mais qu’il n’ira à personne, et l’avenir politique des membres du ministère est assuré.