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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Les Tristes ou Mélanges tirés des tablettes d’un suicide, 1806. J’y ajouterais le roman intitulé les Proscrits, si on pouvait se le procurer ; mais j’y joins celui d’Adèle, qui, publié beaucoup plus tard, remonte pour la première idée et l’ébauche de la composition à ces années de prélude. En relisant ces divers écrits, en tâchant, s’il se peut, pour les Essais d’un jeune Barde et pour les Tristes, de ressaisir l’édition originale (car dans les volumes des Œuvres complètes la physionomie particulière de ces petits recueils s’est perdue et comme fondue), on surprend à merveille les affinités sentimentales et poétiques de Nodier dans leurs origines.

Il est d’avant René, bien qu’il n’éclate qu’un peu après et à côté. Il n’a pas non plus besoin d’Oberman pour naître, bien qu’il le lise de bonne heure et qu’il l’admire aussitôt ; mais si Oberman et René sont pour lui des frères aînés et plus mûris, ce ne sont pas ses parens directs, ses pères. Nodier, au début, se rattache plus directement à Saint-Preux, mais à Saint-Preux germanisé, vaporisé, werthérisé. Il a lu aussi les dernières Aventures du jeune d’Olban, publiées en 1777, et il s’en ressent d’une manière sensible. Mais qu’est-ce, me dira-t-on, que les Aventures du jeune d’Olban ? Avant 89, il y avait en France un très réel commencement de romantisme, une veine assez grossissante dont on est tout surpris à l’examiner de près : les drames de Diderot, de Mercier, les traductions et les préfaces de Le Tourneur, celles de Bonneville. Tout un jeune public, contre lequel tonnait La Harpe, y répondait : on a vu ailleurs que M. Joubert, l’ami de Fontanes, en était. Or, Ramond, depuis membre grave des assemblées politiques, de l’Académie des Sciences, et historien si éminent des Pyrénées, Ramond jeune, nourri, dans Strasbourg sa patrie, des premiers sucs de la littérature allemande mûrissante, en fut légèrement enivré. Séjournant en Suisse et dans une sorte d’exil commandé, à ce qu’il semble, par quelque passion malheureuse, il publia à Yverdon, en 1777, les Aventures du jeune d’Olban qui finissent à la Werther par un coup de pistolet, et l’année suivante il publia encore, dans la même ville, un volume d’Élégies alsaciennes de plus de sentiment et d’exaltation que d’harmonie et de facture ; on y lit cette rustique approbation signée du bailli du lieu : Permis d’imprimer les Élégies ci-devant. Nodier, à la veille du Peintre de Saltzbourg, se ressouvenait du roman de Ramond[1] ; il ajouta même à son Peintre, par manière

  1. Il a poussé la complaisance et la longanimité du souvenir jusqu’à donner une édition des Aventures de l’Olban, avec notice, 1829, chez Techener.