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LA SICILE.

espèce particulière à l’île, et dont les cornes, droites et longues, s’élancent d’une petite tête élégante comme celle des chevaux. Les bergers, chaussés d’espadrilles, un manteau noir négligemment jeté sur l’épaule, se faisaient remarquer par la finesse de leurs traits et la fierté de leur visage que relevaient encore leurs petites moustaches noires. Les autres paysans portaient un costume encore plus pittoresque, et leur justaucorps de velours bleu ou noir, serré par un large ceinturon de cuir bouclé devant, leurs longues guêtres de laine drapées, leur double surtout de laine blanche et noire, rappelaient le moyen âge, et se trouvaient parfaitement en harmonie avec la vieille tour octogone bâtie par Frédéric II, qui s’élève sur l’esplanade où se termine la montée. La ville s’offrit alors à nous avec sa porte et ses murs délabrés, ses vieux châteaux flanqués de tours à demi écroulées, et les toits élevés de ses dix-sept monastères. Au détour d’une rue, nous trouvions souvent un sentier percé dans les rochers qui mènent au sommet de la ville, et, dans les parties les plus populeuses, les maisons sont bâties sur le bord de précipices profonds. Les habitations ne diffèrent pas moins entre elles que les diverses parties du sol, et il n’est pas rare de voir, entre deux maisons de bonne apparence, une grotte dont la voûte est soutenue par des piliers et où vivent de misérables familles ; mais bientôt on est dédommagé de ce triste aspect en approchant du vieux château. Là, tout à coup, la Sicile entière se déroule à vos pieds. Devant vous, si vous vous tournez vers la mer Thyrrénienne, vous découvrez un chaos de vallées et de montagnes, semé de villes et de petites bourgades, les unes jetées à la cime de pics semblables à celui où vous êtes, les autres ensevelies dans des gorges profondes où elles apparaissent comme des points blancs et lumineux. Plus au nord se dressent les longues chaînes des monts Pelore et Madonia, qui vont, jusqu’au détroit de Messine, faire face aux montagnes de la Calabre ultérieure première, et, traversant toute l’île, touchent à son autre extrémité Palerme et Trapani ; et au sud vous voyez la Sicile s’abaisser vers la mer d’Afrique par les vallées de Caltanisetta et de Syracuse, mais s’abaisser graduellement par divers amphithéâtres de rochers et de montagnes entre lesquels se dérobent les vertes profondeurs où gisent Mazzarino, Scordia, Lentini, Modica et une foule de petites cités entourées de campagnes fertiles. Nous étions au mois de novembre ; le ciel était pur, dégagé de vapeurs, et l’œil pouvait suivre les nuances géologiques de ces diverses hauteurs parmi lesquelles on voyait dominer les pitons noirs des rochers qui forment la